🇫🇷 Inondations… érosion… Comment la France fait face aux risques côtiers

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Effet du dérèglement climatique, l’élévation du niveau des mers (on prévoit + 1 mètre en 2100) menace les côtes françaises. Sur les côtes sableuses, les effets sont déjà visibles. Les solutions fondées sur la nature semblent les plus appropriées pour faice face à ce phénomène inéluctable.

Sous l’effet de l’érosion marine, la France rétrécit. En quelques chiffres, la situation est facile à comprendre : le pays compte 20 000 kilomètres de côtes (dont les trois quarts dans ses territoires d’outre-mer), et 975 communes littorales (dont 885 en métropole et 90 en outre-mer). Un quart de ces côtes sont soumises à un phénomène d’érosion, parmi lesquelles 270 kilomètres présentent une vitesse de recul supérieure à 50 cm par an. Un dernier : 700 000 hectares sont situés en zone basse dans les départements littoraux, c’est-à-dire sous le niveau atteint par la mer lors de conditions météorologiques extrêmes.

Et ce phénomène n’est pas la seule menace qui pèse sur les territoires côtiers, sur les populations qui y vivent et sur les activités économiques qui y sont installées. L’élévation du niveau des mers liée au dérèglement climatique, déjà perceptible, aggrave l’érosion mais elle génère aussi des phénomènes de submersion : les tempêtes ne sont pas plus fréquentes que par le passé, mais elles sont plus violentes et plus destructrices : les flots franchissent plus fréquemment les ouvrages de protection (digues, etc) et inondent les territoires littoraux, de façon parfois dramatique. Et les choses ont peu de chances de s’améliorer dans les années qui viennent : les experts du GIEC (le groupe international d’experts du climat) prévoit une élévation du niveau des mers de 50 cm en 2050, et de 80 à 100 cm à la fin du siècle.

Or, l’enjeu est considérable pour le pays. Quelques chiffres encore pour en prendre la mesure : 7,8 millions de Français habitent dans une commune littorale (2 millions de plus qu’en 1960) et 4,5 millions supplémentaires y sont attendus d’ici 2040. Encore ne s’agit-il là que de la population permanente. La commune d’Argelès-sur-mer, sur la côte méditerranéenne, compte 10 000 habitants à l’année… Et 150 000 en juillet-août. Le tourisme littoral génère près de 250 000 emplois et 9 milliards d’euros de valeur ajoutée par an.

Deux affaires ont particulièrement marqué les esprits et contribué à la prise de conscience de l’ampleur de la menace : l’immeuble « Signal » et le drame de La-Faute-sur-mer.

Construit en 1967 à Soulac-sur-mer (département de la Gironde, dans le sud-ouest de la France), le Signal est un immeuble d’habitation de 78 logements, un vrai petit paradis implanté à 150 mètres du rivage, avec vue imprenable dur l’océan Atlantique. Mais ça, c’était en 1967. En 2014, le Signal n’est plus qu’à 25 mètres du rebord de la dune, et l’eau monte inexorablement : l’immeuble menace de s’effondrer, ses fondations sont sapées par l’érosion. Un arrêté préfectoral de péril impose la fermeture de la résidence. Les propriétaires doivent abandonner leur bien. Problème : l’Etat doit-il les indemniser ? Après sept années de procédures judiciaires et une modification de la loi, ils ont pu signer leur acte de vente et toucher un chèque à la hauteur de leurs attentes : sept millions d’euros, soit environ 90 000 euros chacun. Si ces premières signatures marquent le début de la fin du Signal, il faudra encore attendre plusieurs mois avant qu’il disparaisse du paysage de Soulac-sur-Mer. En pratique, il faut que tous les propriétaires cèdent leur bien à la collectivité avant d’entamer les moindres travaux. Ils ont tous donné leur accord de principe, mais doivent signer l’acte de vente en bonne et due forme. Sauf que ce n’est pas si simple : pour un seul appartement, il peut y avoir sept ou huit descendants copropriétaires ayant droit aux indemnités. Ensuite, la résidence pourra être rasée, théoriquement au premier semestre 2022. Les lieux seront ensuite rendus à la nature.

L’autre affaire est celle de La-Faute-sur-mer : dans la nuit du 27 au 28 février 2010, la tempête Xynthia fait rage sur la côte atlantique. 29 personnes, essentiellement des personnes âgées et trois jeunes enfants, périssent noyées, après la submersion de la digue censée protéger leurs habitations, en contrebas de l’estuaire de la rivière du Lay, une zone particulièrement vulnérable. Ces résidents s’étaient retrouvés piégés en pleine nuit par une brusque montée des eaux dans leurs maisons de plain-pied, sans étage où se réfugier. Or ces maisons ont été construites en zone inondable, ce qui n’a jamais empêché le maire de la commune, René Marratier, d’accorder généreusement tous les permis de construire demandés. En toute illégalité. Après les faits, le maire a été condamné à quatre ans de prison ferme, la cour d’appel a ramené sa peine à deux ans avec sursis. Mais cette lourde condamnation a marqué les esprits : désormais, les maires sont extrêmement prudents dans la délivrance des permis de construire. Et tout le monde en France a compris que les risques côtiers n’étaient pas une affabulation d’écologistes.

Pour faire face à ces enjeux, la France s’est dotée en 2012 d’une « stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte » et d’un premier programme d’actions avec l’ambition de renforcer la connaissance sur le trait de côte et de favoriser la mise en place de stratégies locales pour adapter les territoires aux évolutions du littoral. Cette stratégie repose largement sur les solutions fondées sur la nature. La reconnaissance de la valeur des services écosystémiques a conduit à l’idée de s’appuyer sur les écosystèmes naturels pour trouver des solutions efficaces, économes et durables aux défis de société. Celles-ci sont définies par l’Union internationale pour conservation de la nature (UICN) comme « les actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés pour relever directement les défis de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité ». Ces solutions « sans regrets » apportent des avantages combinés sur les plans environnementaux, économiques et sociaux.

Par ailleurs, la France dispose depuis 1975 d’un « outil » original pour gérer ses territoires côtiers : le Conservatoire du littoral. Au milieu des années 1970, le gouvernement met en œuvre un programme ambitieux de développement touristique des côtes du Languedoc (dans le sud de la France, sur la Méditerranée) et d’Aquitaine (dans le sud-ouest, sur l’Atlantique) pour détourner les flux de touristes qui traversaient l’été ces deux régions pour se rendre en Espagne, et pour décongestionner la Côte d’Azur, trop fréquentée. Des stations balnéaires sont édifiées, un programme de démoustication est mis en œuvre… mais très vite apparaît la crainte que tout le littoral soit à terme entièrement bétonné, comme le sont les côtes espagnoles. L’Etat crée donc le Conservatoire du littoral, dont la mission est d’acquérir des terrains en bord de mer pour les soustraire à la spéculation immobilière. Une fois acquis (soit à l’amiable, soit par préemption lorsqu’un terrain est vendu, soit rarement par expropriation quand l’intérêt général le justifie), ces terrains deviennent la propriété inaliénable du Conservatoire (donc de l’Etat), qui en confie la gestion à des collectivités territoriales (communes ou départements) ou à des associations (comme la Ligue pour la protection des oiseaux). Pour financer ces acquisitions, le Conservatoire dispose d’une ressource propre : une taxe sur le mouillage des bateaux de plaisance. Chaque fois qu’un plaisancier accroche son voilier ou son yacht à un anneau dans un port français, il finance ainsi la protection du littoral.

Depuis une vingtaine d’années, le métier du Conservatoire a évolué : il ne s’agît plus seulement d’acquérir des terrains pour en faire des espaces protégés, mais de plus en plus d’acquérir des terrains… pour les rendre à la mer ! Ou pour gérer l’évolution du trait de côte en appliquant des solutions fondées sur la nature. Sur 10 sites pilotes, appartenant au Conservatoire, ce programme Life (financé par l’Union européenne) teste une gestion souple du trait de côte. Il contribue à démontrer l’intérêt écologique et économique d’améliorer la résilience des espaces littoraux pour protéger les activités humaines en redonnant de la mobilité au trait de côte. Ces 10 sites expérimentaux, 9 en métropole et un en Guyane, représentent un panel de 5 types de milieux littoraux différents : côtes basses et sableuses atlantiques, côtes basses atlantiques poldérisées, lidos méditerranéens, salins méditerranéens, mangroves. Sur chacun des 10 sites, le projet Adapto amène les collectivités, les gestionnaires et les usagers concernés à construire leur projet de territoire. Pour cela, Adapto leur propose une approche interdisciplinaire ( économique, sociologique, biodiversité…). Les stratégies de mobilité du trait de côte déployées pourront être répliquées et transférables à d’autres sites littoraux similaires français ou étrangers.

L’une des réalisations les plus abouties du programme Adapto concerne la lido du Petit-Travers, sur la côté méditerranéenne, entre deux stations estivales ultra-fréquentées : Carnon et La Grande-Motte. Une route reliait les deux stations en longeant la plage : les visiteurs, par dizaines de milliers, garaient leur voiture au bord de la route, et dépliaient leur serviette 30 mètres plus loin, au bord de l’eau. Construite sur la dune, cette route interdisait tout mouvement du trait de côte : la mer venait buter sur cet obstacle « durci »… et en se retirant emportait le sable de la plage, qui rétrécissait quasiment à vue d’œil. Le réaménagement et la renaturation du site résultent d’une réflexion engagée au début des années 2000 pour restaurer cet espace naturel (propriété du Conservatoire du littoral), lutter contre son érosion, tout en maintenant la capacité d’accueil et l’usage balnéaire de ses plages.

Pour ce faire, le projet s’est articulé autour de la suppression de la route la plus proche de la plage, et le développement de nouvelles infrastructures d’accueil du public en retrait des espaces naturels les plus sensibles.

Les premières phases de travaux ont été engagées 2008 ; elles ont conduit notamment à la création du parking de 550 places en retrait du site. Les principaux travaux se sont déroulés en 2014 et 2015. Ils ont porté sur la suppression définitive de la route de front de mer, sur la mise en place des nouvelles structures d’accueil en retrait du littoral, sur une reconstitution de dunes et une replantation partielle permettant au site de revenir plus rapidement à un état naturel. La dune a aujourd’hui retrouvé sa liberté de mouvement, elle est protégée par des « ganivelles » (des barrières constituées de piquets de bois verticaux), qui interdisent l’accès, contribuent à fixer le sable, et permettent à la végétation dunaire de s’implanter et ainsi de fixer la dune). Des cheminements aménagés par des platelages en bois relient le parking à la plage : désormais, la dune et la végétation ne sont plus piétinées. Six ans après la fin des travaux, le résultat fait l’unanimité… ce qui n’était pas acquis au départ : la résistance a été farouche de la part des élus et des vacanciers (locaux ou touristes), qui refusaient de voir « leur » route détruite et « leur » site réaménagé…

Si les sites Adapto ont vocation à servir de « vitrine » aux aménagements côtiers basés sur des solutions fondées sur la nature, il y a encore beaucoup de travail pour convaincre les élus littoraux de cesser de construire en bord de mer des aménagements ou des activités économiques qui, en « durcissant » le trait de côte, ne font qu’aggraver dans leur périphérie les phénomènes d’érosion et de submersion.

Peut-être, hélas, faudra-t-il encore plusieurs drames tels que ceux de La-Faute-sur-Mer ou du Signal pour accélérer leur prise de conscience…