Alors que les Etats membres de l’Union européenne débattent de la prolongation pour dix ans de l’autorisation du glyphosate, Céline Pelosi de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), alerte sur les effets néfastes de cet herbicide sur les vers de terre, et donc sur la fertilité des sols. Directrice de recherche en agroécologie, écologie et écotoxicologie du sol, elle prône son interdiction au profit d’une agriculture plus vertueuse.
Vous étudiez les sols et les vers de terre. Pour vous, les risques du glyphosate sont-ils suffisamment pris en compte?
Les effets du glyphosate sont sous-estimés. La Commission européenne (qui s’appuie sur les recommandations de son agence sanitaire EFSA, NDLR) n’a pas pris en compte suffisamment les études scientifiques pour évaluer les effets du glyphosate sur l’homme et son environnement. Plus de 60 études ont été publiées sur les effets du glyphosate sur les vers de terre et quasiment aucune n’a été retenue. Celles qui ont été retenues concernent les vers de compost, qu’on ne trouve pas dans les sols naturels. Cette espèce est jusqu’à quatre fois moins sensible que les espèces qu’on trouve dans les sols. Le ver de terre ne meurt pas quand il est exposé au glyphosate. Ce sont vraiment des effets à long terme – avec des doses répétées -, sur la reproduction et la croissance notamment, mais aussi sur le comportement. Quelques études en Amérique latine ont montré qu’au bout d’une vingtaine d’années, à raison de trois applications de glyphosate à doses recommandées par an, on arrive à quasiment une extinction des vers de terre. Donc avec un test au laboratoire sur du court terme, c’est impossible de mettre en évidence ces effets.
Quel est le rôle des vers de terre pour les écosytèmes?
Les vers de terre participent à la fertilité des sols et leur présence permet d’augmenter de 25% à 30% la production végétale. Ils sont très actifs dans l’enfouissement des matières organiques. Ils créent des structures qui permettent le passage de l’eau et de l’air dans les sols. Ils contribuent de façon majeure à l’équilibre de nos sols, à leur fertilité et à leur durabilité. On en a vraiment besoin. Il y a vraiment un changement de paradigme à opérer dans la façon dont on considère le sol. Pendant longtemps, le sol n’a été que le support des cultures. Aujourd’hui, on a compris que c’est un compartiment dans lequel il y a des interactions complexes d’organismes. Il faut trouver des solutions pour préserver nos sols. Il n’est pas trop tard parce qu’ils sont résilients, mais il va falloir réagir et ne pas pousser trop loin parce que quand on perd des espèces, il est difficile de revenir en arrière.
Comment faire avec le glyphosate, jugé cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé et indispensable par une majorité d’agriculteurs ?
Il y a d’énormes intérêts pour les producteurs de pesticides à base de glyphosate. Moi, je ne me positionne pas par rapport à tout ça dans la mesure où j’apporte des faits scientifiques. Il faut une interdiction du glyphosate pour aller vers une agriculture vertueuse. Il faut se tourner vers des pratiques qui soient plus durables, plus vertueuses. Il existe des alternatives au glyphosate – désherbage mécanique ou thermique, couverts végétaux, agroécologie. Elles sont certes moins efficaces dans le temps court pour le désherbage, mais ce sont des solutions beaucoup plus vertueuses sur le long terme. Le souci, avec l’arrêt brutal du glyphosate, ce serait que les agriculteurs se tournent vers d’autres molécules herbicides. Il faut que le gouvernement les accompagne pour qu’ils aillent vers d’autres pratiques que l’utilisation accrue d’autres molécules qui, in fine, pourraient avoir les mêmes conséquences. L’idée, c’est de ne pas remplacer la peste par le choléra et de diminuer de façon générale le recours aux intrants chimiques.
Propos recueillis par Madeleine PRADEL