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Le loup a quasi-totalement disparu du territoire français entre la deuxième moitié du 19ème siècle et, pour les derniers, les années 1930. Il s’agissait alors d’une espèce unanimement jugée nuisible, dont l’éradication relevait de l’intérêt général. L’État versait une prime pour chaque loup abattu. À la fin du XXe siècle, la présence de deux individus de souche italienne est attestée dans le parc national du Mercantour en 1992. Entre sa disparition et son retour, le paysage dans lequel il évolue s’est radicalement métamorphosé, d’un point de vue géographique, culturel, et juridique.

  • Au plan géographique, la déprise rurale a conduit à ce que l’élevage extensif occupe des terres autrefois cultivées et à ce que la broussaille puis la forêt progressent(la forêt couvrait entre 8 et 9 millions d’hectares en France métropolitaine au milieu du XIXe siècle, 11 millions d’hectares en 1950, 17 millions d’hectares aujourd’hui, et elle progresse encore de 0,7 % chaque année). Les surfaces consacrées à l’élevage représentent au total 15 millions d’hectares. Parmi les surfaces pâturées, les surfaces pastorales représentent aujourd’hui 2,3 millions d’hectares en France, sont situées à 95 % dans les Alpes, les Pyrénées, le sud du massif central et les départements méditerranéens, où pour une large part elles englobent des surfaces boisées. Cette évolution globale s’est avérée favorable à la forte augmentation des populations de grands ongulés, et a créé des conditions propices au retour des loups.
  • Au plan juridique, la France a signé en 1979, avec 46 autres Etats européens, la Convention de Berne, aux termes de laquelle « la faune et la flore sauvage constituent un patrimoine naturel d’intérêt majeur qui doit être préservé et transmis aux générations futures ».Le loup, alors absent de son territoire, est inscrit par la France à l’annexe II de la Convention, qui recense les espèces de faune « strictement protégée ».  En 1992, l’Union européenne a adopté la directive « Habitats-faune-flore », qui introduit dans le droit interne des Etats de l’Union les dispositions de cette convention. Le loup est donc devenu en France une espèce protégée.
  • Mais c’est sans doute au plan culturel que le paysage s’est le plus radicalement transformé. Au cours du XXe siècle, sont apparues les notions de « protection de la nature » et de « biodiversité » (le mot lui-même apparaît dans les années 1980). La conscience de l’extinction rapide des espèces sauvages à travers le monde et les atteintes au patrimoine naturel, conséquences d’un développement économique rapide, ont conduit de larges parts de la société à poser un regard neuf sur la présence d’espèces historiquement regardées comme importunes.

Le coût de la présence du loup en France est estimé à 25 millions d’euros par an (compte non tenu des dépenses engagées par les éleveurs eux-mêmes, qui augmentent ce chiffre d’environ 20 %, ni des dépenses intégrées au budget d’autres services publics). Sur ces 25 millions d’euros, environ 15 %, soit 3,75 millions d’euros sont consacrés à l’indemnisation des pertes subies par les éleveurs. Le reste, 21,25 millions d’euros est affecté au financement de la protection.

Ces mesures de protection peuvent être classées en trois postes principaux :

  • la mise en place de clôtures ;
  • la présence de chiens de protection auprès des troupeaux ;
  • le renforcement de la présence humaine.

Au-delà de leur coût de mise en œuvre, chacune de ces mesures génère des difficultés ; et si personne ne doute qu’elles contribuent à réduire le poids de la prédation, l’ensemble représente un coût très important, sans constituer pour l’éleveur une assurance tout risque.

  • Pour constituer à elles seules une barrière efficace contre le loup, les clôtures devraient être extrêmement robustes et hautes, et partiellement enterrées, donc coûteuses et d’une utilisation malcommode.
  • La nécessité d’enclore les troupeaux notamment la nuit contrevient à la logique de conduite et peut aussi générer des désordres écologiques (surpâturage, piétinement, etc.). Elle suscite en outre des réticences de la part de certains usagers de la nature (randonneurs par exemple,) devant le morcellement des paysages généré par la multiplication des clôtures sécurisées et électrifiées servant à la protection des animaux au pâturage.
  • Les chiens de protection (Montagne des Pyrénées le plus souvent, mais avec une forte évolution vers des races issues de massifs où des loups sont présents et considérées comme plus efficaces) constituent une mesure d’effarouchement et de défense partiellement efficace. Ils génèrent toutefois des troubles en matière de partage des usages de la nature. Sélectionnés pour leur capacité à défendre le troupeau contre toute intrusion, les chiens impressionnent voire peuvent en arriver à mordre des randonneurs, des promeneurs, des cueilleurs de champignons ou des voisins notamment lorsque ces derniers adoptent un comportement inapproprié. Ils font ainsi peser sur leurs propriétaires une responsabilité quant à la sécurité publique. Or partout l’élevage pastoral est déployé dans des zones où la fréquentation touristique se développe. La présence des chiens peut rapidement devenir problématique, conduisant des communes à interdire le pâturage ou la présence des chiens, ou à apposer des panneaux « attention troupeau »ou « attention bergers »que les professionnels de l’élevage ovin jugent infamants.

Par ailleurs, la mise en place de chacune de ces mesures génère un surcroît de contraintes spécifiques pour les éleveurs.

La mise en œuvre effective des mesures financées par des fonds publics constitue un point de controverse majeur entre les défenseurs du loup et les éleveurs. Pour les premiers, la fréquence des attaques s’explique entre autres par une mise en œuvre déficiente des mesures de protection. Ils jugent donc impensable d’autoriser la destruction d’individus d’une espèce protégée alors même que, selon eux, les mesures de protection ont été insuffisamment prises. Les seconds, qui mettent en œuvre ces mesures, les jugent  lourdes, et la suspicion que fait peser sur eux le conditionnement des indemnisations des animaux prédatés à l’effectivité des mesures de protection est perçue comme une pression insupportable.

Dans ces conditions, le retour du loup met au jour des interrogations et des défis sociétaux, il questionne l’idée que se font les différentes catégories sociales du rapport de l’Homme à la nature, et de sa place parmi les autres espèces. Avec le retour du loup  l’homme se retrouve confronté à un animal territorial et social lui aussi, capable lui aussi de stratégie et d’adaptation. Un animal furtif, invisible, difficile à maîtriser avec lequel, historiquement, l’Homme a toujours entretenu une relation de fascination/répulsion.

La société française se trouve aujourd’hui confrontée à des questionnements et à des choix : Quel est le sens de la présence du loup en France ? Cette présence est, selon les cas, subie ou désirée. il paraît illusoire de réduire les tensions dans la gestion de ce dossier par une simple négociation quantitative annuelle sur un plafond de loups à tuer : si les parties prenantes poursuivent explicitement ou implicitement des objectifs divergents, il paraît clair qu’aucun accord ne pourra être atteint. Il serait donc nécessaire de qualifier et de quantifier le type de présence vers lequel on veut tendr

La société dans son ensemble accepte le loup, mais au sein de cette société, les éleveurs sont les seuls dont la vie de tous les jours est bouleversée par la présence du prédateur. Il ne leur paraît pas équitable que des choix qui engagent collectivement le corps social pèsent essentiellement sur une des composantes de ce corps social.  C’est la question de la solidarité nationale qui est posée.