Par Jean-Pierre Raffin
J’avais lu avec beaucoup d’intérêt « Chacun pour tous : le défi écologique » (Stock 1990) de Michel Barnier, ouvrage riche de propositions révolutionnaires et innovantes à l’époque et pour le mouvement politique auquel il appartenait. Il y écrivait, par ailleurs : « Si l’écologie est restée jusqu’ici l’affaire des écologistes, c’est parce que les autres s’en sont moqués. Il y a dans cette indifférence un vrai risque car les écologistes ne sont ni naïfs ni incompétents. Ils ont aussi une passion qui peut devenir passéistes. Ils ont une obsession qui peut devenir réactionnaire. Ils ont une exigence qui peut empêcher le, mouvement. Qu’on prenne garde à ne pas les laisser seuls. On aurait tort, aussi, de ne pas les écouter. (…) En 1982, parce qu’il en a eu la volonté, François Mitterrand a d’un seul coup doublé les crédits du ministère de la Culture. Ce même effort est aujourd’hui au moins nécessaire pour l’environnement. Il est possible et il est urgent. (…). A propos des 100 mesures pour l’environnement de 1970, Michel Barnier poursuivait : « C’était le temps où notre pays prenait un peu d’avance et, l’un des tout premiers dans le monde, créait un ministère de l’Environnement. Depuis, nous avons piétiné au point que partout ailleurs autour de nous, la volonté est, me semble-t-il, mieux affirmée et l’action plus volontaire ».
Alors député européen, j’ai rencontré Michel Barnier, le 4 mai 1993 et nous avons longuement discuté de l’Europe dont il était un fervent défenseur, tout comme moi ; de problèmes français : le rôle de son ministère qui devait être mieux écouté de ses collègues du gouvernement, de l’ importance de l’éducation à l’environnement dans toutes les filières d’enseignement, du respect des procédures de consultation et d’impact avant travaux, des enquêtes publiques , du projet de tunnel du Somport, de la chasse à la tourterelle, etc.
Michel Barnier acceptait de me dédicacer son livre de 1990 en ces termes :
« A Jean-Pierre Raffin parce que « le défi écologique est le sien » et en témoignage très cordial et sincère de ma disponibilité pour défendre ensemble ces valeurs ». Quelques jours après, le 8 mai, lors de l’assemblée générale de France-Nature-Environnement, nous évoquions la question de l’éducation à l’environnement et il exprimait son amertume du peu d’intérêt de son collègue de l’Éducation nationale. A dire vrai ce n’était pas très nouveau.
- En témoigne l’obstruction, durant de longues années, de ce ministère à introduire dans les programmes scolaires un enseignement sur « l’environnement » (sensu lato), censé être « un des aspects fondamentaux de la formation du futur citoyen. En conséquence, tous les élèves du système éducatif doivent pouvoir en bénéficier », selon le protocole signé, le 15 février 1983, entre Michel Crépeau, ministre de l’Environnement et Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale. Ce protocole, qui concernait « l’ensemble du système scolaire et universitaire », visait « à rendre chacun conscient de sa place dans le milieu, de son action sur celui-ci et à donner, à tous, les moyens d’un comportement responsable ». Il aura peu d’effet, au point qu’un nouveau protocole sera signé, en 1993, entre Ségolène Royal, ministre de l’Environnement et Jack Lang, ministre de l’Éducation nationale et de la Culture, sans plus d’effet, d’ailleurs, que le précédent. Une anecdote illustre bien cette mauvaise volonté. Le 6 décembre 1994 avec des membres du groupe Éducation à l’environnement de l’UICN, je rencontrais Luc Ferry, alors président du Conseil national des Programmes, Nous souhaitions que l’Éducation nationale inscrive concrètement dans ses programmes ce que prévoyaient les protocoles de 1983 et 1993. Comprenant qu’il n’était pas possible de dégager un horaire particulier pour cette éducation, j’avais suggéré la chose suivante : que les équipes pédagogiques choisissent un thème, par exemple une pollution de l’eau et qu’ensuite chaque discipline y consacre un temps d’enseignement. La physique-chimie traiterait du mécanisme ; l’histoire et géographie de l’histoire et de la répartition ; les sciences du vivant et de la terre, de l’impact ; les langues étudieraient une publication relative à la question dans leur langue respective, etc. Ensuite tous les15 jours ou les trois semaines, en fonction de l’organisation du temps scolaire, il y aurait un temps où seraient confrontés les différents points de vue. Mais pour que le système fonctionne, il fallait qu’il y ait un pilote. J’avais alors proposé que ce soit l’enseignant d’histoire et géographie ou plutôt de SVT, au travers de l’écologie. Luc Ferry rétorqua qu’il n’en était pas question car l’écologie n’était pas une discipline mais seulement de la politique, avançant pour preuve l’existence d’un parti intitulé « Génération écologie » … Et pourtant M. Ferry avait glosé, de manière fort rudimentaire et partiale, il est vrai, sur l’écologie, quatre ans auparavant. Comme l’a fait remarquer Philippe Grandcolas ( Le sourire du pangolin ou comment mesurer la puissance de la biodiversité. 2021), les choses ne se sont pas améliorées puisque dans l’enseignement secondaire, les programmes relatifs au fonctionnement des écosystèmes et au rôle de la diversité biologique ont été supprimés… A propos des enquêtes publiques j’avais déjà approché Michel Barnier par l’intermédiaire d’un ami de mes parents, résistant savoyard qu’il connaissait bien. Il s’agissait d’obtenir une modification de tracé d’une ligne haute tension saccageant paysages et arbres multiséculaires dans mon Brionnais familial. En 1992 s’était déroulée une enquête publique de servitude relative au tracé de cette ligne. L’enjeu majeur du projet était le paysage jusqu’alors préservé au point que le terroir concerné, le Charolais-Brionnais, avait été classé “ grand site culturel et touristique de Bourgogne” en 1989. Or la notion même de paysage dont pourtant il avait été beaucoup question à l’époque (“Chacun pour tous “ de Michel Barnier, 1990 ; discussion et vote de la loi sur la protection et la mise en valeur du paysage, 1992) semble avoir été totalement étrangère aux préoccupations du commissaire-enquêteur, ingénieur principal SNCF à la retraite. Dans le rapport (bien entendu favorable au projet) de près de 1400 mots concluant l’enquête, le terme de “paysage” n’était pas une seule fois utilisé ! A dire vrai cette énormité avait laissé de marbre le préfet en charge du dossier. Il avait été cependant directeur de cabinet d’un ministre de l’Environnement, délégué à la Qualité de la Vie et s’était même déclaré“ une sorte de gendarme de la nature”…
Michel Barnier ne put rien faire, le projet ayant été autorisé et il déclarait, en juillet 1993 : ”je regrette le manque de transparence des enquêtes publiques et je ferai en sorte que dans années qui viennent, elles ne soient plus des alibis faute de quoi les gens n’auront plus confiance et on ne pourra plus rien faire dans ce pays “,
Et puis, il y eut l’élaboration et l’adoption de la loi, 2 février,1995, sur le renforcement de la protection de l’environnement, riche de dispositions nouvelles, par exemple, en matière de consultation des citoyens avant les projets d’aménagement avec la création de la Commission nationale du Débat Public ; avec l’introduction du principe de précaution et de pollueur-payeur, etc.
Enfin comme ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, s’est engagé, notamment, sur la réduction de l’usage des pesticides (Plan Ecophyto) et le soutien à l’agriculture biologique, ce que se sont bien gardés de faire ses successeurs. Les derniers ministres de l’Agriculture se sont, de plus, illustrés par un retour en arrière remarquable…
Pour avoir fréquenté 17 ministres de « l’Environnement », Michel Barnier fut l’un de ceux dont j’ai apprécié l’action à l‘égal de Robert Poujade, André Fosset, Michel d’Ornano, Huguette Bouchardeau, Brice Lalonde, Corinne Lepage, Dominique Voynet, Nicolas Hulot et Barbara Pompili.
Dans un autre domaine, il a été et il est beaucoup question de la réforme des retraites. J’ai été obligé de cesser mes activités professionnelles à l’âge de 65 ans alors que j ’étais encore en état de marche Alors, je trouve stupide un système qui fixe de manière arbitraire le même âge de départ à la retraite pour tous sans tenir compte de la pénibilité du métier exercé. Il me semble bien plus équitable que celles et ceux qui ont eu une activité pénible puissent la quitter beaucoup plus tôt que celles et ceux pour qui ce n’est pas le cas. L’égalitarisme républicain m’apparaît comme un déni de la réalité et une ineptie pour un pays qui se dit héritier du siècle des Lumières.
Je fais le même constat sur le fonctionnement de certains services de l’État où des procédures administratives ubuesques engloutissent temps et énergie. Le cas de l’hôpital public est maintes fois avancé. J’ai, moi-même vécu, au fil du temps, à l’université, le poids croissant d’un administratif
bien souvent imbécile. J’avais eu la curiosité de mesurer et de comparer, peu avant ma dernière année d’activité comme responsable d’un service d’enseignement, le temps consacré aux tâches administratives et à l’enseignement. Eh bien, pour une heure d’enseignement devant les étudiants, il me fallait consacrer une heure huit minutes à des tâches administratives bien souvent extravagantes. Alors comme contribuable, je me dis que le premier travail d’un gouvernement sérieux qui cherche à limiter le coût des services publics serait de remettre à plat leur fonctionnement.
A voir les difficultés rencontrées par M. Barnier, Premier ministre, pour composer un gouvernement, je suis atterré par le comportement imbécile du personnel politique français, tous bords confondus. Les postures du moment et les calculs mesquins me semblent prévaloir sur le long terme et le bien commun. Nos femmes et hommes politiques semblent bien en être resté(e)s à l’archaïque pensée qui fait d’un adversaire un ennemi.
Alors faut-il s’étonner d’avoir, au final, un gouvernement bien éloigné des annonces d’un Président Macron selon qui sous son second quinquennat la France serait une « grande nation écologique ».? La nouvelle ministre de la Transition écologique, de l’énergie et du climat qui fut ministre déléguée à l’Agriculture est plutôt connue :
- Pour son appui à un ministre de l’Agriculture le plus hostile qui soit à cette diversité du monde vivant dont le Président Macron affirmait pourtant (mais c’était en 2021) « la bataille pour le climat est jumelle de la bataille pour la biodiversité. Nous avons du retard sur la biodiversité, il faut le rattraper ».
- Pour confondre transition écologique et transition énergétique.
L’on se serait attendu à ce que le Premier ministre Michel Barnier, compte tenu de son expérience ancienne, fasse un choix plus judicieux.
Mme Brundtland (Notre avenir à tous>.1987) avait raison d’écrire : « Nous empruntons un capital écologique aux générations à venir, en sachant pertinemment que nous ne pourrons jamais le leur rembourser. Elles auront beau nous maudire d’avoir été si dépensiers, elles ne pourront jamais récupérer ce que nous leur devons. Nous agissons de la sorte parce que nous n’avons pas de comptes à rendre : les générations futures ne votent pas, elles n’ont aucun pouvoir politique ou financier, elles ne peuvent s’élever contre nos décisions ».
Jean-Pierre Raffin
Co-fondateur (1970) avec François Ramade, écotoxicologue, de l’enseignement de l’écologie à l’Université Paris 7 – Ancien membre du Parlement européen