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La chasse est une activité de loisir sujette à de nombreuses controverses : ses pratiquants défendent son rôle en faveur de la biodiversité, tandis que ses détracteurs dénoncent son impact sur les espèces, notamment protégées. En France, la réglementation sur la chasse tente de trouver l’équilibre entre ces deux forces.

La France compte 1,1 millions de chasseurs licenciés, selon la Fédération Nationale de la Chasse (FNC), l’association qui assure la promotion et la défense de cette activité de loisirs. La chasse est réglementée par un établissement public de l’État, officiellement créé le 1er janvier 2020 et dirigé par Pierre Dubreuil : l’Office français de la biodiversité (OFB). Cette dernière résulte de la fusion de deux établissements publics : l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et l’Agence française pour la biodiversité (AFB), afin de mutualiser les ressources de police de l’environnement des deux organismes.

Diverses espèces d’oiseaux, protégées par la Directive Oiseaux de l’UE depuis 2009, sont toujours chassables en France, provoquant régulièrement l’ire des ONG et d’une partie de la population. La plus emblématique est l’oie cendrée, accusée par les chasseurs de provoquer des dégâts et dont la date officielle de fin de chasse est le 31 janvier, mais que le gouvernement français a depuis plusieurs années tenté de prolonger, par des décisions à chaque fois annulées par le Conseil d’Etat. De même, environ 100 000 tourterelles des bois, une espèce en danger d’extinction, étaient chassées chaque année durant leur migration d’automne, jusqu’en 2018. Depuis 2019, un quota de prélèvement d’environ 18 000 tourterelles était fixé chaque année, malgré les plaintes de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO). Le Conseil d’Etat a finalement suspendu début septembre 2020, pour la saison 2020-2021, la chasse à la tourterelle, allant à l’encontre de la volonté du gouvernement, qui avait pris un arrêté autorisant le tir de 17.460 oiseaux en dépit de l’opposition de plusieurs associations dont la Ligue de protection des oiseaux (LPO). La chasse au courlis cendré fait aussi régulièrement débat : en août 2019, une ordonnance du Conseil d’Etat a ordonné un quota zéro de prélèvement pour cette espèce menacée au niveau européen, alors qu’un récent arrêté de la France autorisait d’en chasser 6000 sur le territoire. Cet arrêté a finalement été définitivement annulé par le Conseil d’Etat en décembre 2020. Par ailleurs, à l’automne 2020, plusieurs tribunaux administratifs ont suspendu la chasse, dans les Hautes-Alpes, en Savoie, Haute-Savoie et Isère, de deux espèces menacées en France: le Tétras-lyre et le Lagopède alpin, au motif que leur état de conservation est insuffisamment connu.

Le maintien des chasses traditionnelles est un autre sujet polémique en France. Concernant les oiseaux, elles sont au nombre de quatre, autorisées à titre dérogatoire : l’écrasement par pierre plate (la tendelle) dans le Massif Central, l’étranglement par collet (la tenderie) dans les Ardennes, l’encagement (la matole) dans les Landes, et l’engluement dans le Parc National des calanques. Le braconnage annuel d’environ 30 000 bruants ortolans, une espèce en déclin rapide, avec les matoles, a été enrayé avec succès à partir de 2017, après qu’un recours formé contre la France par la Commission européenne, devant la Cour de justice de l’Union européenne, a poussé le gouvernement à faire respecter la loi dans les Landes. En octobre 2018, onze braconniers d’ortolans ont ainsi été condamnés à des amendes. D’autres espèces (merles noirs, grives musiciennes, vanneaux huppés, alouettes des champs…) sont en revanche soumises à des quotas autorisant leur chasse par des méthodes traditionnelles. Ainsi, pour la saison de chasse 2019-2020, 106 500 alouettes des champs pourront être attrapées à l’aide de matoles, et 5 800 grives et merles, 1 200 vanneaux huppés et 30 pluviers dorés pourront être capturés à la tenderie. Fin 2019, le Conseil d’Etat a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de se prononcer sur la légalité de la chasse à la glu. Par ailleurs, suite à une plainte contre la France déposée par la LPO le 2 avril 2019, la Commission Européenne a adressé, le 2 juillet 2020, un avis motivé à l’Hexagone, lui donnant trois mois pour appliquer les lois européennes en matière de chasses traditionnelles et de chasse aux oiseaux telles que les oies cendrées et les tourterelles des bois. En conséquence, le 27 août 2020, le gouvernement a finalement arbitré contre les chasseurs en fixant à zéro pour cette saison le quota de chasse à la glu pour les grives et les merles (seules espèces pour lesquelles elle était autorisée), une décision confirmée par le Conseil d’Etat en septembre.

En 2019, la notion de « gestion adaptative des espèces » a fait son apparition dans le Code de l’environnement. Elle implique de fixer cycliquement le nombre d’individus d’une espèce qui pourront être chassés chaque année, en fonction de l’état de ses populations. Quatre premières espèces sont concernées en 2020 : le courlis cendré, la barge à queue noire, la tourterelle des bois et le grand tétras, ce dernier étant en danger critique d’extinction. Les associations fustigent l’idée que cette gestion pourraient s’appliquer à des espèces menacées, et préconisent qu’elle ne concerne que des espèces en bon état de conservation. Par ailleurs, des scientifiques ont regretté que parmi les 15 experts du Comité de gestion adaptative, huit présentent des conflits d’intérêt, notamment financiers, avec les pro ou les antichasse.

La chasse de certaines espèces sur le territoire français est parfois justifiée par le fait qu’il s’agit d’« animaux susceptibles d’occasionner des dégâts », une périphrase qui a remplacé le terme « nuisibles » dans la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Le renard roux, accusé de s’attaquer aux poulaillers et à la petite faune sauvage, est l’un des principaux concernés, bien que les ONG environnementales défendent son rôle important dans la limitation des populations de rongeurs, et ainsi, de la propagation de la maladie de Lyme. Le blaireau, qui peut transmettre la tuberculose bovine aux élevages bovins et à l’homme, est traditionnellement chassé par la méthode de la vénerie sous terre, une pratique jugée cruelle par les associations et certains maires ayant pris des arrêtés visant à l’interdire sur leur commune. Enfin, la prolifération des sangliers, qui peuvent véhiculer la peste porcine et ravagent certaines cultures, oppose les agriculteurs aux chasseurs, les premiers accusant les seconds de favoriser leur présence. Début 2020, le gouvernement a adopté un décret autorisant la chasse au sanglier et au chevreuil dès le 1er juin.

Le Président de la République actuellement en fonction, Emmanuel Macron, a souvent apporté son soutien aux chasseurs et défendu leurs revendications – à tel point que ce puissant lobby est accusé d’avoir trop d’influence sur le paysage politique français, ce qui avait conduit l’ancien ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, à démissionner. Un sondage effectué en 2016 avaient pourtant révélé que les Français ne se sentent pas en sécurité dans la nature en période de chasse, et qu’ils étaient une majorité favorable à l’interdiction de la chasse le dimanche, et plus généralement, à une révision complète de sa réglementation.