Les problèmes liés à l’élévation du niveau des mers et au risque de submersion de Venise, d’Amsterdam et de New York sont bien connus de tous ceux qui s’intéressent à l’écologie. Mais qu’est-ce qui arrivera aux villes côtières russes telles que Saint-Pétersbourg et bien d’autres ? Dans cet article, nous étudions l’impact du changement climatique sur le littoral en Russie et le potentiel d’adaptation de ses villes.
Nos villes sont-elles prêtes à affronter les inondations et les tempêtes ? Selon l’étude des tendances météorologiques à long terme contenue dans le deuxième rapport d’évaluation de l’agence russe de météorologie Rosguidromet paru en 2014 (le troisième rapport n’a pas encore été publié), pour les habitants des territoires côtiers, le changement climatique peut avoir des conséquences néfastes, voire destructrices, mais aussi positives.
L’affaiblissement du pergélisol provoque de nouveaux accidents en Arctique
Depuis quelques décennies, la superficie de la banquise de l’océan Arctique se rétrécit très rapidement. La superficie la plus réduite jamais relevée a été observée en hiver et en été des années 2007, 2012, 2015, 2016, 2017 et 2020. En outre, l’épaisseur de la banquise dérivante diminue, tandis que les eaux gèlent beaucoup plus tardivement. Le changement des conditions climatiques induit la réduction des populations des espèces de poissons présentant un intérêt économique et menace d’extinction les ours polaires, les morses, les bélugas, les narvals et d’autres animaux.
Le réchauffement climatique crée des opportunités pour le développement du trafic maritime et l’extraction des hydrocarbures en Arctique. Néanmoins, des effets environnementaux néfastes seront inévitables. Les côtes se dégradent, le pergélisol, qui n’est plus gelé en permanence, fond. Les tempêtes et les blocs de glace éparpillés s’abattent sur les infrastructures marines.
La catastrophe survenue sur la péninsule de Taïmyr, lorsqu’au mois de mai 2020 un réservoir de stockage de carburant diesel appartenant à l’entreprise Norilsk Nickel s’est effondré, a démontré à quel point il est dangereux de négliger le changement des conditions climatiques.
Le non-respect des règles de sécurité et l’absence de contrôles des activités des industriels risquent d’engendrer de nouvelles catastrophes graves.
Le réchauffement de la mer Baltique fera disparaître les écosystèmes marins
La hausse de la température de la mer Baltique provoque la réduction de la superficie de la banquise et de la durée de la couverture de glace. Ce phénomène, même s’il a un impact positif sur la navigation, produit des effets néfastes : les eaux chaudes sont propices à la prolifération des algues, notamment des algues toxiques, ce qui favorise le remplacement des espèces commerciales de poissons par des espèces de moindre valeur. Les captures devenant moins importantes, la pêche pâtira du changement de la température des eaux.
L’aspect positif : le réchauffement climatique contribuera au développement du tourisme maritime et côtier dans la région. L’aspect négatif : l’élévation du niveau des eaux rendra les inondations plus fréquentes. Il sera indispensable d’améliorer le système de prévision opérationnelle de phénomènes météorologiques dangereux, de sécuriser les déplacements en mer, d’empêcher les dégâts dus à la dégradation des bâtiments dans les zones côtières et de pouvoir alerter rapidement les habitants en cas de tempête.
Le sud de la Russie a besoin de mesures d’adaptation aux inondations
Dans les décennies à venir, l’élévation du niveau de la mer Noire ne créera pas de problèmes importants pour les habitants de la zone côtière, même si l’abrasion, c’est-à-dire l’érosion côtière par les vagues, et les inondations des infrastructures sont possibles.
Or, l’élévation du niveau moyen de la mer d’Azov peut avoir pour conséquence une érosion des côtes. Les villes de Temriouk, Primorsko-Akhtarsk, Ieïsk et Taganrog, dont la population globale est supérieure à 400 000 personnes, pourraient être inondées.
En outre, il ne faut pas sous-estimer la possible élévation du niveau de la mer Caspienne. De nombreuses agglomérations et entreprises situées dans sa zone côtière, en Russie comme dans d’autres pays riverains, risquent la disparition, met en garde l’agence Rosguidromet.
Si le niveau de la mer Caspienne monte (à l’heure actuelle, c’est une question controversée, cette mer étant considérée comme un bassin intérieur qui ne fonctionne pas comme les autres aires marines), c’est la république de Kalmoukie qui sera la plus touchée : les plans peu inclinés de sa plaine côtière favorisent la pénétration d’eau sur le continent. Quand le vent souffle fort, elle peut atteindre jusqu’à 30 kilomètres.
Parmi les points positifs : le prolongement de la saison estivale et de la période de navigation, la réduction du risque d’exploitation de plates-formes de forage en mer et d’oléoducs dans la mer Caspienne du Nord.
Les fleuves qui débordent
Sur la côte de la mer Noire, dans le Caucase du Nord et à l’Extrême-Orient, on constate une augmentation de la fréquence et de l’ampleur des crues provoquées par le changement climatique. Les pluies abondantes en sont la première cause.
En 2013, à l’Extrême-Orient russe et dans le Nord-Est de la Chine, quand des pluies diluviennes sont tombées pendant presque deux mois, la crue centennale du fleuve Amour a atteint une cote record. Une des inondations les plus destructrices a frappé les oblasts de l’Amour, de Magadan et du Birobidjan, les kraïs du Primorié et de Khabarovsk, ainsi que la Yakoutie. Plus de 8 millions de km² de territoires et plus de 13 000 maisons ont été inondés, 190 000 personnes ont été impactées, 32 000 ont été évacuées. Les pluies ont détruit 1 400 kilomètres de route et 825 équipements publics à vocation sociale. L’estimation des dommages subis suite aux inondations s’élevait à 527 milliards de roubles.
En 2021, dans le kraï de Transbaïkalie, de fortes pluies sont tombées pendant tout l’été. Des centaines de maisons ont été inondées, des ponts, des routes et des digues ont été détruits. Des crues pluviales extrêmes surviennent de plus en plus souvent en Extrême-Orient, dans le sud et dans d’autres régions du pays.
La survie du plus apte
Afin de se protéger des catastrophes naturelles, certaines régions russes mettent en place des stratégies climatiques en effectuant une analyse de vulnérabilité des écosystèmes, des populations et des différentes branches de la gestion urbaine.
Selon les premières estimations, d’ici la fin du XXI siècle, l’intensité et le volume des précipitations à Saint-Pétersbourg augmenteront de 20%. Le nombre d’inondations et de crues de grande dangerosité, à savoir dont l’élévation du niveau des eaux est supérieure à 210 cm, augmentera respectivement de 40% et de 30%. En outre, le risque d’abrasion des côtes et d’inondation des régions insulaires, suite à la hausse du niveau de la nappe phréatique, sera plus important.
Le système de digues et d’ouvrages hydrauliques assure une protection intégrale de Saint-Pétersbourg contre les vagues de plus 160 cm de hauteur, pourvu que l’on réagisse à temps. Néanmoins, après la fermeture des barrages, le risque d’inondation des quartiers de Kourortny, Petrodvorets, Kronstadt et Primorsky, situés dans la zone côtière, augmente. Cela est dû au fait que la houle du vent, qui vient buter sur la digue, se rejette dans le golfe de Finlande à toute vitesse.
Le district de Kourortny est le plus malchanceux. Par endroits, la mer « avale » deux mètres de trait de côte par an, ce qui menace de faire disparaître 60% du littoral. Ici, soit il n’y a pas d’ouvrages de protection, soit les murs anti-vagues en béton et les plans inclinés ont perdu leur efficacité depuis longtemps.
« L’installation de barrages en béton ne permet pas de protéger les plages de sable. Si le littoral est sujet à la pression des tempêtes, ce qui est la première cause de destruction des côtes, les vagues emportent le sable qui se trouve entre les blocs en béton. Ainsi, la côte sableuse continue à se dégrader et, en plus, des tas de pierres recouvrent le sable », explique Olga Senova, directrice de l’organisation Amis de la Baltique.
La question de la protection des côtes et des écosystèmes locaux fait l’objet de recherche scientifique. « On pourrait minéraliser toute la côte, en suivant l’exemple de la Neva, mais pour les plages de sable et les dunes cela signifierait la mort et non une solution. En Lettonie et en Lituanie, par exemple, on plante des herbes et des arbustes sur les dunes afin que leurs racines retiennent le sable. Les mesures de protection du littoral devraient impérativement s’appuyer sur l’expérience internationale et le potentiel des solutions fondées sur la nature. Cela permettrait de renforcer le littoral à long-terme et de sauvegarder sa fonction récréative », rajoute Olga.
Selon les estimations du Comité de gestion des ressources naturelles, de protection de l’environnement et de sécurité écologique de Saint-Pétersbourg, le système de protection du littoral actuel est obsolète et nécessite une modernisation. Les spécialistes du Comité en collaboration avec les scientifiques de l’Institut panrusse de recherches géologiques et ceux issus d’autres centres de recherche ont mis en place un schéma de protection du littoral du golfe de Finlande et des rivières urbaines. Il devrait être inclus dans le plan directeur de Saint-Pétersbourg dans sa version 2022.
« Il n’existe pas de structure publique dédiée à la protection du littoral. Aujourd’hui, ces questions relèvent de différents pouvoirs publics et entreprises. Par exemple, le Comité de développement des infrastructures de transport est responsable de prévention du ravinement des routes et le groupe Gazprom, qui construit une tour dans le district de Primorsky (« Lakhta Center », commentaire de Plus-one.ru), aménagent les berges », explique Mikhail Strakhov, premier adjoint du président du Comité.
Selon lui, l’idée principale du schéma directeur consiste à permettre aux administrations publiques et aux propriétaires des terrains d’adopter une approche intégrée à la protection du littoral. « Auparavant, les solutions étaient adoptées au cas par cas, il n’y avait pas d’approche systémique. On protégeait un site tout en détruisant un autre. En édifiant des ouvrages de génie civil, il est nécessaire de tenir compte de leur impact potentiel sur les territoires environnants. Dans un endroit, par exemple, il serait opportun de faire une plage, dans un autre, installer un brise-lames ou une digue parallèle à la côte », ajoute Mikhail.
En 2014 déjà, dans l’oblast de Kaliningrad, des chercheurs et des personnalités publiques locaux en collaboration avec des climatologues de l’Institut océanographique de l’Académie des sciences de Russie ont élaboré un projet conceptuel d’adaptation de la région au changement climatique. Les experts constataient une recrudescence dans la région de сrues, inondations et tempêtes ayant un impact négatif sur tous les domaines de la vie. La majeure partie des digues, canaux, stations de relevage et d’ouvrages de protection du littoral de la région datent d’avant-guerre. Les risques liés aux anomalies météorologiques provoquées par le changement climatique n’ont pas été pris en compte lors de leur conception.
En 2017, le projet a été présenté au gouvernement régional mais, selon Alexandra Koroleva, co-présidente de l’ONG Ecozachita, les autorités locales ne s’intéressent pas à la question du changement climatique. « Après l’étude de la stratégie d’adaptation, un groupe de travail sur le climat a été créé au sein du Ministère régional des Ressources naturelles. Or, ce groupe n’a jamais été réuni », affirme l’expert.
« Les travaux de protection du littoral sur les plages des villes de Svetlogorsk et Zelenogradsk ont été réalisés tellement mal que les côtes continuent à se dégrader », estime Alexandra Koroleva. Selon elle, auparavant, dans ces villes on protégeait les côtes à l’aide d’épis (brise-lames), à savoir deux séries de pieux séparées par un amas de roches – une technologie utilisée en province de Prusse-Orientale pendant des siècles. « En 2017, de nouveaux brise-lames ont été construits à Zelenogradsk. Ils sont plus courts qu’en Allemagne, ne comportent pas de roches et sont organisés en une seule rangée », raconte Alexandra.
A l’époque soviétique, les brise-lames ont été démontés et les pierres ont été utilisées pour la construction des structures des quais. Aujourd’hui, il ne reste pratiquement plus de vieux épis. Par conséquent, les plages sont ravinées, en particulier, lors des tempêtes.
Sur l’isthme de Courlande, site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’ampleur de l’érosion littorale est telle qu’en décembre 2020 Ecozachita a préparé et adressé à l’ONU un rapport spécial. « Nous n’avons pas encore reçu de réponse. La pandémie a rallongé le temps de traitement des demandes », explique Alexandra.
Plus-one.ru a essayé d’obtenir des renseignements auprès du gouvernement de l’Oblast de Kaliningrad sur la raison pour laquelle le projet d’adaptation au changement climatique n’a jamais été adopté et sur la stratégie de lutte contre ce phénomène prévue par les autorités. Au moment de la publication de cet article, nous attendions toujours une réponse.
Contactez-nous quand vous aurez été inondés
La plupart des régions russes ne se pressent pas de s’adapter au changement climatique. Le kraï du Kamtchatka s’est posé cette question en automne 2020 lorsque, dans la Baie d’Avatcha, des milliers d’animaux marins ont péri et une soixantaine de surfeurs ont eu des brûlures et subi des intoxications. Selon l’Académie des sciences de Russie, une « marée rouge » était à l’origine de la catastrophe, à savoir la prolifération soudaine d’une algue rouge toxique.
« Le changement climatique a été cité parmi les causes du drame. Sur décision du Gouverneur, un système de surveillance écologique et climatique a été lancé dans la région. Une base de données hydrométéorologiques, qui sera consolidée au fil du temps, permettra de prédire l’apparition de phénomènes naturels dangereux avec plus de précision », note Tatiana Mikhaylova, responsable de la plate-forme thématique « Ecologie » de l’antenne du Front populaire panrusse dans le kraï du Kamtchatka.
« L’estimation des dégâts causés par les inondations relève d’une commission composée de représentants de la municipalité, du gouvernement du kraï, du ministère des Situations d’urgence et de la Direction de l’hydrométéorologie et de la surveillance environnementale du Kamtchatka. Ce n’est que quand le malheur est déjà arrivé que la municipalité se voit allouer les ressources nécessaires à la protection des côtes et à celle contre les coulées de boue, ainsi qu’à d’autres mesures appelées à mettre les populations à l’abri de futurs cataclysmes. En plus, l’octroi des fonds est loin d’être systématique », dit l’expert.
Anastasia Troyanova