🇫🇷 Les timides débuts de l’écotourisme en France

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1997
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Si les Français se ruent, de plus en plus nombreux, vers les espaces naturels, et s’ils se disent désireux de pratiquer un tourisme écologique, la pratique de l’écotourisme est encore très minoritaire : moins de 1 % des séjours relèvent de cette catégorie.

En 2018, 10 millions de touristes avaient visité l’un des 11 parcs nationaux que compte le territoire français. Combien en 2021 ? Il est évidemment trop tôt pour dresser le bilan, mais de l’avis de tous les observateurs ce chiffre sera largement dépassé. Le bouleversement des habitudes touristiques occasionné par la pandémie de Covid-19 se traduit par une explosion de la fréquentation dans les espaces naturels, qu’il s’agisse des 11 parcs nationaux, des 353 réserves naturelles, ou des 750 sites protégés par le Conservatoire du littoral. Découragés par les contraintes et les risques sanitaires, les vacanciers ont boudé les destinations urbaines. Frustrés de nature pendant les confinements successifs, ils se sont rués vers les espaces naturels. Au point, dans certains cas, de constituer une menace pour les écosystèmes.

Le cas le plus emblématique cette année est celui du Parc national des Calanques. Créé en 2012, cet espace naturel s’étend sur 85 km2 terrestres et 435 km2 marins. Sa particularité est d’être le premier parc périurbain de l’Union européenne : les transports urbains de la métropole de Marseille (la deuxième ville de France) permettent d’y accéder. Conséquence : le Parc national des Calanques est sans aucun doute celui qui reçoit le plus de visites. Pourtant c’est aussi le plus petit et l’un des plus sensibles. Dès les beaux jours, les Calanques sont prises d’assaut. En périodes de pointe (week-ends de printemps et mois de juillet et août notamment), on peut compter sur certaines plages, comme à Sormiou ou En-Vau jusqu’à 3 000 personnes alors qu’en matière de confort, on sait qu’il ne faudrait pas dépasser quelques centaines. Sur la calanque de Sugiton, le problème ne concerne pas seulement la quiétude pour les visiteurs, mais aussi un impact majeur sur la flore du fait du piétinement répété et de l’érosion des sols qu’il génère. Avec près de 2 000 personnes par jour en pointe, la pérennité du couvert végétal est menacée, comme la régénération de la pinède, caractéristique du charme de cette calanque.

En d’autres endroits, comme au cap Canaille, le nombre de grimpeurs augmente sur des voies de plus en plus recherchées, tandis que l’activité nautique est parfois extrêmement dense au cap Croisette, dans certaines calanques ou sur certains sites de plongées. Des problèmes d’usages peuvent par ailleurs se poser entre les différentes activités.

En mer, le problème est tout aussi crucial :  l’horizon est souvent caché par un mur de bateaux. Et sur les rochers, plus il y a de monde, moins la flore peut se développer. Dans les fonds sous-marins, la posidonie, espèce protégée et habitat naturel clé en Méditerranée pour de nombreux poissons, est fortement dégradée par l’ancre des bateaux.

Alors, pour limiter l’afflux de visiteurs, le parc national des calanques a opté pour une stratégie pour le moins originale, dite de « démarketing ». Sur le site internet, à la rubrique « baignade », on tombe désormais sur des clichés de plages bondées, accompagnés de messages volontairement rebutants (et pourtant essentiels à connaître avant de visiter les calanques) : « eau froide », « accès difficile », « pour éviter la foule, privilégiez l’automne ou l’hiver ». L’objectif, expliquent les responsables du Parc, n’est pas de dégouter les gens mais de les informer sur la réalité.

Le parc a aussi investi plusieurs millions d’euros pour installer des barrières aux entrées, aménager des parkings, augmenter le nombre de navettes et ainsi repousser plus loin les voitures. Une fois qu’on a repoussé les voitures et les bateaux, l’autre enjeu, c’est de compter les visiteurs et de leur faire rebrousser chemin quand ils sont trop nombreux. Pour cela, le parc compte sur de nouvelles générations de capteurs. Leurs données sont transmises en temps réel à une application. Quand c’est rouge, on a atteint un niveau de surfréquentation et un texte s’affiche : « attention trop de monde, la calanque souffre ». Mais il n’est pas sûr que cela suffise à éviter la surfréquentation. Le parc national réfléchit donc à mettre en place un système de réservation dès l’année prochaine. En revanche, pas question -pour le moment- d’envisager de faire payer les accès, comme le font les parcs américains par exemple.

Si le cas du Parc des Calanques est le plus aigu, tous les gestionnaires de sites naturels rapportent des problèmes liés à l’excès de fréquentation depuis deux ans. D’autant que la découverte à pied n’est pas le seul attrait de ces espaces. L’explosion des sports de nature et autres activités outdoor impacte lourdement les sites sensibles. L’apparition de VTT électriques, par exemple, draine toute une population peu sportive qui ne se serait jamais aventurée sur les sentiers lorsqu’il fallait les arpenter à la seule force du mollet ! Or les passages fréquents ravinent les sites, bouleversent le régime d’écoulement des eaux, et affectent durablement la flore.

Cet engouement pour le tourisme de nature -ou tourisme « vert »- est-il le signe d’une conversion massive des Français à l’écologie et à la préservation de la biodiversité ? En aucun cas ! Pour l’écrasante majorité de ces nouveaux visiteurs, la nature n’existe pas pour elle-même : elle n’est qu’un terrain de jeux pour une pratique sportive ou simplement pour fuir les grandes villes. Ce « tourisme vert » est le contraire de l’« écotourisme » qui pourrait, lui apporter des solutions utiles à la nature.  L’écotourisme est une forme de voyage responsable dans les espaces naturels qui contribue à la protection de l’environnement et au bien-être des populations locales. Dans une expérience écotouristique, l’accent est mis sur :

  • la protection d’un patrimoine naturel et culturel ;
  • l’éducation et l’interprétation de cette nature ;
  • l’inclusion des populations locales.

Ce n’est pas uniquement un moment agréable d’interaction avec la nature, mais c’est aussi une expérience active pour le touriste qui contient des valeurs éducatives, environnementales et solidaires. Un séjour est composé d’expériences (visites, randonnées, rencontres…) réalisées dans un espace naturel privilégié. Ce qui est recherché est une sensation de symbiose avec la nature, mais pas uniquement. Cette expérience est toujours réalisée en prenant en compte l’environnement et le bien-être des personnes qui y vivent. L’idée est d’impacter le moins possible les lieux, de préserver la biodiversité et les ressources naturelles. Des pratiques sont mises en place pour favoriser la protection de l’environnement : les sorties sont pratiquées en petits groupes, les hébergements ont une démarche responsable, les transports doux sont privilégiés pour accéder au site, les déchets sont valorisés, et les animaux respectés. Les lieux accueillant des séjours en écotourisme sont souvent des aires protégées comme les parcs nationaux, cela permet de défendre les espèces et les habitats naturels. Dans la définition de l’écotourisme, la notion d’éducation est un pan essentiel. Dans des vacances écotouristiques, une part importante est laissée à l’observation, à l’interprétation et à la compréhension de la faune et de la flore. L’écotourisme est un voyage qui s’accompagne d’une prise de conscience individuelle, d’une remise en question, d’un enrichissement personnel liée aux actions directes de conservation et de protection. La responsabilité du voyageur est prise en compte dans cette approche. Grâce à l’interprétation et à une meilleure appréciation de la nature, de la société et de la culture, le respect pour l’environnement grandit. Un des impacts directs de l’écotourisme est la création d’emploi et l’apport de revenus pour la population. Même si les retombées globales prennent du temps, l’écotourisme renforce l’économie locale et donne du pouvoir aux locaux pour se battre contre la pauvreté et accéder au développement durable.

De plus, financer directement des projets de protection de l’environnement, va aider les organismes qui gèrent la préservation des espaces et donc les gens qui y travaillent. En participant à cette préservation, des solutions pour conserver à long terme la nature deviennent concrètes et permettent de profiter d’apports économiques pérennes.

C’est dans cet esprit que les parcs nationaux français ont créé la marque « Esprit Parc national ». Il s’agît de labelliser les opérateurs (transporteurs, hébergeurs, guides) mais aussi les producteurs locaux qui agissent dans le cadre d’une démarche d’écotourisme. Le réseau des 58 parcs naturels régionaux (qui ne sont pas des espaces protégés stricto sensu) les a imités avec la marque « Valeurs parc naturel régional » : une marque collective attribuée par les Parcs, sur la base d’une démarche contractuelle, à tous les professionnels de leur territoire qui le souhaitent et qui satisfont le niveau d’exigence requis. Elle concerne aussi bien les produits agricoles que les produits artisanaux, les hébergements et prestations touristiques, les actions pédagogiques…

Malgré toutes ces initiatives, le chemin à parcourir est encore long ! À l’heure actuelle, seulement 1 % du marché du tourisme en France relève du tourisme durable, alors que ce segment représente une vraie opportunité pour la filière. 7 Français sur 10 souhaitent partir en voyage durable selon une étude Harris Interactive de 2018. Le tourisme durable (ou responsable) induit un voyage de proximité qui contribue à la fois à limiter le réchauffement climatique, protéger la biodiversité, valoriser les circuits courts et les savoir-faire locaux.

Plus qu’une simple mode, le tourisme durable s’impose largement. Ainsi, 90 % des Français se déclarent attentifs à respecter l’environnement lorsqu’ils partent en voyage, tandis que 39% se déclarent très attentifs au respect de la faune, de la flore et des ressources. En réalité, la clientèle touristique suit les nouvelles aspirations de la société toute entière et tend à opter pour des séjours plus authentiques, moins lointains, plus responsables. La crise du Covid-19 a d’ailleurs amplifié cette tendance de fond en incitant les Français à (re)découvrir leur patrimoine touristique cet été.