Peintre naturaliste célébrissime aux Etats-Unis, le Français Jean-Jacques Audubon (1785-1851) reste méconnu chez lui, où il a pourtant réalisé ses premières oeuvres: oubliés dans des caisses à La Rochelle pendant plus d’un siècle, ses dessins de jeunesse sont exposés par le Muséum de la ville.
L’occasion jusqu’à fin mars pour les passionnés d’oiseaux et les amateurs d’Audubon – qui a donné son nom à de nombreuses localités outre-Atlantique et à une fondation ornithologique forte de 600.000 adhérents – de découvrir des planches jusqu’alors inconnues du grand public. En particulier ses « premiers dessins américains, qui sont tous ici », assure à l’AFP la commissaire de l’exposition du Muséum d’Histoire naturelle de La Rochelle, Lucille Bourroux. Au total, 131 dessins ont été redécouverts par hasard dans les années 1990 dans les caisses en bois où étaient stockées en vrac des archives de la Société des sciences naturelles de la Charente-Maritime, explique-t-elle. Ils y prenaient sans doute la poussière depuis que Charles-Marie d’Orbigny en avait fait don, en 1852, à cette société savante qui en est toujours propriétaire…
Car c’est au contact de M. d’Orbigny que le jeune Audubon, peu intéressé par ses études maritimes (il a le mal de mer) mais fasciné par les oiseaux des marais des bords de Loire où il a grandi, s’était initié à la technique du dessin naturaliste. En 1803, son père, capitaine de marine qui a participé à la guerre d’indépendance des Etats-Unis, envoie Audubon, âgé d’à peine 18 ans, dans son domaine de Pennsylvanie pour monter une exploitation minière, et échapper à la conscription dans les armées napoléoniennes. Un échec commercial cuisant qui permet quand même au jeune homme de découvrir les forêts nord-américaines et leurs animaux, qu’il peint à la manière des naturalistes Buffon et Brisson dont il connaît le travail. Il réalise au passage ce qui est considéré comme le premier baguage d’un oiseau en Amérique du Nord. En attachant un fil d’argent à la patte d’un petit passereau migrateur, la moucherolle phebi, il confirmera son intuition que cette espèce revient chaque année pondre au même endroit.
Devenu Américain et dès lors prénommé « John James », Audubon effectue un dernier voyage en France pour dire au revoir à sa famille avant de s’installer définitivement aux Etats-Unis. Avant de partir, il laisse à M. d’Orbigny en gage d’amitié ses dessins réalisés entre 1803 et 1806. Présentées aux côtés d’animaux naturalisés permettant une comparaison avec leur modèle, les 101 planches exposées au Muséum de La Rochelle illustrent l’évolution rapide de la technique du jeune homme. De l’imitation scolaire des oiseaux de Buffon, « qu’il jugeait raides » selon Mme Bourroux, à l’émergence de sa « patte » caractéristique: des pastels aux contours tracés au crayon de graphite pour donner l’illusion du mouvement. Paradoxalement, pour sa première série américaine, la plupart des oiseaux peints par Audubon sont représentés morts et suspendus à un fil, vraisemblablement une astuce pour masquer un axe de symétrie, comme ce pigeon migrateur (« tourte voyageuse ») aux tons bruns disparu depuis plus d’un siècle.
Mais malgré ses tâtonnements et imperfections, le jeune naturaliste manifeste déjà le souci de dessiner à l’échelle réelle et de « représenter la vie telle qu’il l’a vue », avec toutes ses couleurs, souligne Lucille Bourroux. A l’instar des rouges carmins du cardinal, oiseau emblématique d’Audubon choisi pour l’affiche de l’exposition. Un art qui atteindra son sommet vingt ans plus tard, après des années de vache maigre à courir les bois, dans l’ouvrage Birds of America qui lui vaudra le surnom de « Léonard américain ». « Réalisé sur des planches d’un mètre sur 70 cm, ce recueil remporte un tel succès que des expéditions seront même financées pour permettre à Audubon de se rendre dans des endroits qu’il ne connaît pas encore », comme le Labrador et la Floride, explique la commissaire de l’exposition. Birds of America est l’un des livres imprimés les plus chers au monde: en 2010, une édition originale s’était vendue aux enchères plus de dix millions de dollars, un record à l’époque.