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Trois questions à Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)

ANES : vous publiez On a marché sur la Terre (ed. Les échappés), qui est votre journal de militant tout au long de l’année 2019. Vous écrivez sur la couverture « mes armes sont l’indignation et la révolte ». Ça suffit, pour militer efficacement ?

Allain Bougrain-Dubourg : non bien sûr ! Le militantisme doit aussi se professionnaliser. Mais ce que je veux signifier par cette phrase, c’est mon rejet de l’indifférence, à un moment où tout ce que l’on vit peut conduire à baisser les bras. Or au contraire, l’actualité me conduit davantage à me battre qu’à tourner le dos. En revanche je constate encore et toujours que nos seules victoires sont des défaites évitées. J’ai eu la chance de connaître des victoires pour la nature quand une espèce considérée comme « nuisible », les rapaces par exemple, est désormais reconnue comme utile. Quand on crée des réserves naturelles. Quand l’éducation à l’environnement entre dans les écoles avec les sorties-nature etc. Tout cela peut valoriser le vivant et lui donner la capacité d’une résilience. On peut parler par exemple de l’état catastrophique de certaines espèces emblématiques dans les années 70 : castor, cigogne blanche, faucon pèlerin. Et leur état aujourd’hui. Les vautours fauves éclairent désormais le ciel cévenol, le castor est de retour dans nos rivières… Comme on le voit, nos victoires c’est quand on empêche d’agresser davantage la nature. C’est effectivement extrêmement frustrant, c’est cela qui génère indignation et révolte. Mais les associations se sont professionnalisées. En 30 ans la LPO par exemple est passée de 3000 membres et trois salariés à 57 000 membres et 400 salariés, avec des juristes, des biologistes, des ingénieurs, qui ont les compétences de haut niveau nécessaires aujourd’hui pour traiter des questions très techniques comme la politique agricole commune, sur laquelle nous sommes très engagés, ou les éoliennes, pour ne prendre que ces deux exemples. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]

ANES : ces dernières années, la condition animale s’est invitée en force dans le débat public, y compris dans le discours des politiques. C’est une victoire .

Allain Bougrain-Dubourg : c’est le signe d’une maturité exceptionnelle de la société qui peut s’expliquer par le fait qu’on a levé le voile sur une marmite de souffrance animale qui était soigneusement cachée jusque-là. J’ai toujours eu moins de mal à tourner dans des centrales nucléaires que dans des abattoirs ! Aujourd’hui on doit aux images de L 214 une révélation des coulisses de la grande bouffe, et on découvre des situations inacceptables. À chaque fois on nous explique que L 214 a montré des images d’exception, malheureusement d’autres images viennent toujours confirmer ce qu’on avait vu la veille. On sait qu’on castre des porcelets sans anesthésie, on leur coupe la queue, on leur lime les dents etc. On broie des poussins vivants. On a conscience de tout ça. Et ce que je vois, c’est que les politiques courent toujours derrière la société. Les politiques savaient tout cela, évidemment. Ils étaient les premiers à être informés, d’abord parce que les associations les alertaient et avaient conscience des réalités. Mais tant que la société n’est pas mobilisée, ils repoussent les réponses. L’exemple de la loi agriculture-alimentation de 2018 est exemplaire. J’ai travaillé avec des associations pour le bien-être animal. On a proposé des amendements notamment sur la castration des porcs, qui se pratique correctement dans d’autres pays européens sans affecter leur économie. On voulait juste s’aligner sur ce qui se fait de mieux. Tous nos amendements ont été retoqués. La présence de caméras dans les abattoirs, qui avaient été autorisée par le gouvernement précédent, a été supprimée. Et on voit aujourd’hui le ministre de l’agriculture nous dire que dans deux ans, il n’y aura plus de poussins broyés ni de porcelets castrés. Quatre ans perdus avant de mettre en œuvre ce qui est élémentaire !

Un sondage fait par Le Monde et la fondation Jean-Jaurès en septembre 2019 indique que l’environnement est devenu la première préoccupation des Français. Dans les TGV il y a des menus vegan : ce n’est pas pour faire plaisir à deux passagers entre trois grèves ! C’est parce qu’il y a un vrai mouvement aujourd’hui la part des vegan, qui sont le plus souvent des jeunes entre 18 et 35 ans, qui ne sont pas des enfants de la SPA, mais qui s’interrogent philosophiquement sur leur rapport à l’animal. Tout cela dessine un mouvement sociétal incontournable.

Autre constat : à l’occasion de ces élections municipales,  jamais autant que cette fois-ci nous n’avons été, nous les associations, sollicités par les candidats pour les éclairer sur des mesures à prendre aussi bien sur la condition animale que sur la question de la biodiversité.

Et pourtant… Vous rappelez le « grand débat » l’année dernière, à la suite de la crise des gilets jaunes ? 16 300 communes concernées, 10 000 réunions, 1 500 000 participants, et l’une des premières conclusions c’est la conscience très nette de nos concitoyens de l’urgence environnementale. Quand le Premier ministre a rendu compte du grand débat, il a déclaré que toute frilosité serait impardonnable. Et ensuite ? Rien. Ça a coûté 14 millions d’euros tout de même… On en a tiré la réunion de 150 citoyens -uniquement sur le climat !- pour 6 autres millions d’euros. Cela va déboucher vraisemblablement sur un référendum. Cette façon de refiler la patate chaude est assez scandaleuse : on demande à 150 citoyens comment régler le problème de la réduction de 40 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, alors qu’on a un Haut-conseil au climat, et que les chercheurs font des recommandations. On sait quelles sont les mesures à prendre. Alors pourquoi attendre et passer par un referendum ?

ANES : il n’y a jamais eu autant d’écart entre l’abondance de la parole politique et la faiblesse de l’action. Cela vous rend-il optimiste (puisque la bataille des idées semble gagnée), ou pessimiste (puisque pas grand-chose ne se passe) ?

Allain Bougrain-Dubourg : je crois qu’on a atteint un degré de mensonge, pour dire clairement les choses, qui n’est pas durable. Le sang des bêtes coule entre nos doigts et on s’en lave les mains. Je crois que la société est lucide sur cette réalité. On ne peut pas à la fois aller faire des déclarations dans les hauts sommets de Chamonix alors que 20 espèces qui sont à l’agonie sur la liste rouge, sont encore chassables en France. On ne peut pas prendre les citoyens pour des naïfs. Ce qui est de choquant, c’est cette espèce de prétention à se montrer exemplaire alors qu’on met sous le tapis la misère de cette nature à l’agonie. Je ne me pose pas la question de l’optimisme ou du pessimisme, parce que je pense qu’on doit être dans l’action coûte que coûte. Il y a une flamme d’espoir avec la biodiversité, c’est que tant qu’elle n’a pas disparu elle a des potentialités de résilience exceptionnelle. Je parlais des cigognes blanches : dans les années 70 il restait 10 couples en France. Aujourd’hui on en a plus de 3000. La biodiversité a une capacité de résilience dès lors qu’elle n’est pas éteinte, mais en attendant le risque d’extinction et la souffrance qui l’accompagne sont bien là !

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko

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