Aristo désargenté

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Ce n’est certes pas une victoire, mais au moins une petite satisfaction. Le week-end dernier, les « écureuils », ces militants perchés qui entravaient la destruction programmée du bois de la Crémade à Saïx (Tarn) situé sur le tracé de l’autoroute A 69, ont accepté de descendre de leurs perchoirs. Ils venaient d’obtenir un sursis pour « leur » forêt : l’Office français de la biodiversité (OFB) a confirmé qu’en raison de la nidification d’espèces protégées, chauves-souris et oiseaux notamment, les arbres ne peuvent pas être abattus avant le 1er septembre.

Grosse baffe pour le préfet du Tarn, qui avait autorisé le défrichage de la parcelle et déployé engins et techniques de guerre pour faire appliquer sa décision illégale.

Cet affrontement autour du chantier de l’A69 illustre la situation ubuesque dans laquelle se trouve le réseau routier français. Il est l’un des plus denses d’Europe (2 km de routes par km2, contre 0,6 en Allemagne, par exemple) et il est en voie de paupérisation rapide. Il ressemble au château de vieux aristocrates désargentés, qui veulent, envers et contre tout, paraitre tenir leur rang : les murs sont lépreux, la charpente vermoulue, la toiture fuit, mais on continue à emprunter pour offrir des fêtes somptueuses.

Toutes les études estiment qu’il faudra prévoir au moins 22 milliards d’euros dans les années qui viennent, simplement pour réparer les dégâts routiers des événements extrêmes occasionnés par le changement climatique. L’État n’a pas le premier fifrelin pour faire face à ces dépenses. Les départements, en charge de la voirie, crient famine.

Mais l’industrie du béton et du macadam réclame sa pitance. Alors l’État confie aux intérêts privés le soin de développer encore et toujours un réseau déjà hypertrophié… et de se payer sur la bête (c’est nous, la bête). C’est clairement le choix qui a été fait pour l’A 69. Cette autoroute ne servira strictement à rien, sinon à générer toujours plus de déplacements de Toulousains fuyant les loyers exorbitants de la capitale occitane. Mais l’Etat aura tenu son rang : le progrès ne s’arrête jamais.

Quant aux écureuils, ils sont déjà remontés dans d’autres arbres. Pas dans le Tarn, mais à Strasbourg, devant le siège de la cour européenne des droits de l’homme.