Trois questions à Allain Bougrain-Dubourg, rapporteur de l’avis du Conseil économique, social, et environnemental sur les métiers de la biodiversité. « ABD » plaide pour le développement de cette filière d’emplois.
ANES : Pourquoi le CESE s’est-il saisi de cette question des emplois de la biodiversité ?
Allain Bougrain-Dubourg : Eh bien, parce que je le lui ai proposé ! A la conférence de Nagoya en 2010, la France s’est engagée, comme les autres Etats, à stopper la perte de sa biodiversité. Or le constat est là : non seulement on n’a pas freiné l’érosion de la biodiversité, mais on n’est même pas capables de la ralentir ! Pour y parvenir, il faudra non seulement créer les emplois spécifiques des experts et des techniciens capables de piloter la préservation, voire la restauration des écosystèmes, mais aussi former des centaines de métiers qui jusqu’ici ne s’en préoccupaient pas aux impératifs de la biodiversité. Un exemple tout simple : assurer l’étanchéité de votre toiture, c’est le métier du plombier. Mais si l’on va vers des toitures végétalisées, il faudra allier aux compétences du plombier celles qui relèvent de la biodiversité. Partant de ce constat, j’ai proposé à la section Environnement du CESE de se saisir de ce sujet majeur. Nous avons conduit, pendant trois mois, une vingtaine d’auditions, enregistré toute une série de contributions, et nous avons soumis notre rapport à l’Assemblée plénière du CESE, qui l’a adopté par 166 voix « pour , 5 abstentions et 9 « contre » : les voix de la FNSEA !
ANES : Quels sont à vos yeux les points les plus importants de ce rapport ?
Allain Bougrain-Dubourg : Le premier c’est qu’il faut identifier, repérer, les métiers spécifiques de la biodiversité, leur donner une lisibilité. Un premier travail dans ce sens a été entrepris par l’Atelier technique des espaces naturels (ATEN), il faut aller plus loin et populariser ce travail. Ensuite, il faut développer les savoirs, les connaissances et les compétences. On peine aujourd’hui à trouver des spécialistes pour porter les chantiers de la biodiversité. Prenez simplement l’exemple de l’IPBES, ce GIEC de la nature dont la France est à l’origine. Pour coordonner les initiatives, préparer les dossiers et les résolutions, il faut des experts pointus et opérationnels. Où ira-t-on les chercher ? De même, dans les régions, les dossiers directement ou indirectement liés à la biodiversité se multiplient. Y compris, désormais, pour le suivi des programmes européens Life. Mais où les régions iront-elles chercher ces compétences ? On pourrait aussi parler des entreprises : si au lieu de déverser des pesticides le long de ses voies la SNCF choisit une gestion plus écologique de la maintenance de son réseau, elle devra embaucher des techniciens capables de concilier le respect de la biodiversité et la garantie de la fonctionnalité du réseau. Nous n’avons malheureusement pas pu chiffrer le nombre d’emplois potentiellement nécessaires, cela nécessiterait un travail de recherche approfondi qui n’entre pas dans les compétences du CESE, mais on voit bien, par ces quelques exemples, que les besoins sont importants ! Or il paraît que nous avons un petit problème d’emploi en France…
ANES : Mais comment envisagez-vous de financer ces emplois ?
Allain Bougrain-Dubourg : Quand l’obligation des pots catalytiques a été adoptée, on nous a expliqué que ça allait mettre Renault en faillite et Peugeot au chômage ! Eh bien, ils se sont adaptés (au point même que les pots catalytiques sont aujourd’hui dépassés…). De même, plus personne ne dit aujourd’hui sérieusement que le bio est réservé aux bobos et que les moins favorisés ne peuvent pas y accéder : on trouve des produits bio dans toutes les grandes surfaces, et les prix sont devenus accessibles ! C’est la réglementation qui peut orienter l’économie (comme ce fut le cas pour les pots catalytiques), mais pas seulement. C’est aussi, pour les entreprises, une affaire d’image. Prenez le cas des carriers et des cimentiers : au début, c’est par contrainte réglementaire qu’ils ont remis leurs carrières en état après exploitation. Aujourd’hui, ils rivalisent de vertu écologique et ils s’en glorifient. Parce que c’est excellent pour leur image. La biodiversité aujourd’hui représente, directement ou indirectement, environ 300 000 emplois. Au vu des besoins, imaginez combien d’emplois pourraient être créés. Et si la demande sociale et la réglementation y contribuent, je ne doute pas un instant que l’économie saura les financer !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko