Du 2 juillet 2016 au 8 janvier 2017, la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente Le Grand Orchestre des Animaux, inspiré par l’œuvre de Bernie Krause, musicien et bioacousticien américain.
L’exposition, qui réunit des artistes du monde entier, invite le public à s’immerger dans une méditation esthétique, à la fois sonore et visuelle, autour d’un monde animal de plus en plus menacé.
L’approche de Bernie Krause est unique. Il contemple le monde naturel en poète, écoute les vocalisations des animaux en musicien et, à travers ses enregistrements, les étudie en scientifique. Bernie Krause est ainsi passé maître dans l’art de révéler la beauté, la diversité et la complexité des langues des animaux sauvages, de plus en plus réduits au silence par le vacarme des activités humaines. Il nous implore d’écouter ces voix du monde vivant non-humain avant qu’un silence définitif ne s’abatte sur elles.
Bernie Krause a, depuis plus de quarante ans, collecté près de 5 000 heures d’enregistrements sonores d’habitats naturels sauvages, terrestres et marins, peuplés par près de 15 000 espèces d’animaux. Ses recherches offrent une merveilleuse plongée dans l’univers sonore des animaux, dans le monde de la biophonie. Avant de se passionner pour l’enregistrement des animaux loin du monde humain, Bernie Krause a travaillé dans les années 1960 et 1970 comme musicien et acousticien à Los Angeles, collaborant notamment avec les Doors et Van Morrison. Il a également contribué à la composition de musiques de films comme Rosemary’s Baby de Roman Polanski et Apocalypse Now de Francis Ford Coppola.
L’exposition s’articule autour de deux composantes, l’une visuelle, l’autre sonore.
Dans les espaces transparents de la Fondation Cartier, les architectes mexicains Gabriela Carrillo et Mauricio Rocha mettent en scène le grand orchestre de nos représentations du monde animal. Explorant les multiples perspectives visuelles qu’offre la « maison de verre », ils créent une scénographie de briques en terre cuite qui englobe le jardin et les espaces intérieurs du bâtiment de Jean Nouvel. Ce dispositif architectural reproduit métaphoriquement la configuration d’un orchestre symphonique.
L’exposition présente un dessin de 18 mètres de long spécialement créé pour l’exposition par l’artiste chinois Cai Guo-Qiang. Cette oeuvre présente des animaux sauvages de toutes espèces réunis autour d’un point d’eau, dans un moment de paix et d’extrême vulnérabilité. Cai Guo-Qiang a réalisé ce dessin avec de la poudre pyrotechnique, matériau qu’il utilise avec un savoir-faire et une habileté inégalés. Sur de grandes feuilles de papier, une forme a d’abord été dessinée avec de la poudre avant d’être mise à feu. Les traces de brûlure et de fumée ont alors composé le motif recherché : un paysage d’animaux.
À cette scène imaginée par Cai Guo-Qiang, qui évoque les peintures rupestres des artistes des temps les plus anciens, l’exposition associe de saisissantes et étranges images prises avec des « pièges photographiques » que l’artiste japonais Manabu Miyazaki dispose avec une ingéniosité et une sensibilité sans pareilles. Exposées pour la première fois en dehors du Japon, ces photographies donnent à voir des animaux sauvages qui partagent le même environnement et empruntent les mêmes chemins que les humains. Les photographies de Manabu Miyazaki révèlent également la mystérieuse beauté onirique du vol des oiseaux dans la forêt. L’artiste décrit ainsi sa démarche : « Mes pièges photographiques sont comme les arbres qui observent les animaux. Mon appareil photo est l’oeil de l’arbre. »
Le Grand Orchestre des Animaux donne ensuite le champ libre à une approche plus joueuse, excentrique et colorée, dans laquelle l’imaginaire des artistes fait écho aux plus fascinantes créations esthétiques de la nature. L’artiste brésilienne Adriana Varejão réalise un mur de céramique, peint d’oiseaux d’Amazonie, qui relie le jardin à l’intérieur du bâtiment et à l’exposition. Emblématiques ou ostentatoires, les tableaux de l’artiste béninois Cyprien Tokoudagba et les animaux musiciens des peintres congolais Pierre Bodo, JP Mika et Moke entrent en conversation avec les extravagants oiseaux de paradis de Nouvelle-Guinée filmés par les chercheurs du Cornell Lab of Ornithology (Ithaca, États-Unis). Cette étonnante vidéo-volière d’images bigarrées est placée sous la vigilance solennelle et contemplative de dioramas d’animaux photographiés en noir et blanc par l’artiste japonais Hiroshi Sugimoto.
Dans la seconde partie de l’exposition, c’est cette fois l’esthétique inouïe du monde vivant imperceptible qui est révélée à travers les technologies de pointe des microphones et microscopes digitaux.
Le collectif anglais United Visual Artists (UVA) propose un dispositif de traduction visuelle des paysages sonores de Bernie Krause. Une étonnante installation électronique tridimensionnelle, commandée spécialement pour l’exposition, transpose en particules lumineuses les données des enregistrements sonores afin de mettre en relief la beauté des environnements présentés et la complexité des vocalisations animales.
Les recherches de Bernie Krause nous ont fait découvrir que les sonorités du monde animal, souvent perçues sous la forme confuse d’un simple bruit de fond, sont en réalité aussi soigneusement orchestrées que la partition musicale la plus complexe. Chaque espèce possède sa propre signature acoustique au sein du panorama sonore de son écosystème. Bernie Krause décrit ainsi ce phénomène de « niche acoustique » : « Chaque espèce résidente acquiert sa propre largeur de bande acoustique – qui lui permet de se mélanger aux autres ou de créer un contraste – un peu comme les violons, les bois, les cuivres et les percussions délimitent leur territoire acoustique dans un arrangement pour orchestre. »
Nous oublions trop souvent que ce sont les animaux qui nous ont fait don de la musique. Bernie Krause nous le rappelle et nous sensibilise à l’organisation des vocalisations animales au moyen de sonogrammes des paysages sonores qu’il enregistre. Ces représentations graphiques de la biophonie offrent une chance de mieux comprendre et apprécier le langage acoustique du monde vivant que nous sommes en train de détruire – langage que seuls les peuples indigènes savent encore si bien déchiffrer.
L’installation immersive du collectif UVA, qui met en valeur l’extraordinaire richesse des enregistrements et des sonogrammes de Bernie Krause, offre à la fois une expérience esthétique inédite et un outil de connaissance précis. Elle présente sept paysages sonores, enregistrés au Canada, aux États-Unis, au Brésil, en République centrafricaine, au Zimbabwe et dans les profondeurs des océans. Un film réalisé par Raymond Depardon et Claudine Nougaret, dans lequel Bernie Krause commente son oeuvre, est intégré à l’installation.
Dans une autre salle, les visiteurs sont invités à explorer une des dimensions les plus méconnues du monde animal en s’immergeant dans la beauté infinitésimale de l’océan avec l’installation Plancton, aux origines du vivant. Réalisée à partir des photographies de Christian Sardet, directeur de recherche au CNRS et un des initiateurs du projet Tara Oceans, selon un dispositif imaginé par le vidéaste et plasticien Shiro Takatani, elle s’accompagne d’une musique créée par le compositeur japonais Ryuichi Sakamoto. Invisibles à l’oeil humain, les micro-organismes qui forment le plancton sont présents dans tous les océans. Ils représentent la plus grande partie de la biomasse marine de la planète et sont à l’origine de la vie sur Terre.
Dans le jardin, une œuvre de la collection de la Fondation Cartier créée par Agnès Varda, Le Tombeau de Zgougou, perpétue, tel un temple protecteur dédié à l’esprit des animaux de compagnie, la mémoire de sa bien-aimée et à jamais regrettée chatte Zgougou.
Commissaire : Hervé Chandès