Militant pro-démocratie et défenseur de l’environnement au Gabon, Marc Ona Essangui redoute que la venue mercredi du président français Emmanuel Macron, pour un sommet sur les forêts tropicales, soit perçue comme un adoubement de l’actuel dirigeant Ali Bongo Ondimba, à six mois de la présidentielle gabonaise. Il prévient également que l’exploitation forestière constitue « la première menace » qui plane sur les forêts du bassin du Congo et regrette que le « One Forest Summit » dédié à leur préservation, prévu mercredi et jeudi à Libreville, ne soit pas « plus inclusif »
Comment percevez-vous la venue d’Emmanuel Macron à six mois de l’élection présidentielle gabonaise?
Le véritable souci, c’est le timing car nous sommes en pleine année électorale et nous sortons de la COP27 et de la COP15. Je suis mal à l’aise car les vidéos des activistes africains sur sa venue pullulent sur les réseaux sociaux. Le débat sur le climat n’est même plus abordé. Ce que l’on retient, c’est la venue d’Emmanuel Macron qui vient adouber son candidat. La partie gabonaise a dû insister de manière stratégique et ce pour des motivations électoralistes. Malheureusement, je ne pense pas que l’homme de la rue va retenir le sommet sur les forêts mais plutôt la venue de M. Macron. Ce qui est affolant, c’est que personne au Quai d’Orsay (ministère français des Affaires étrangères) ou à l’Élysée (présidence française) n’a prévenu que ce timing risquerait de poser problème et surtout sans prendre en compte l’opinion des Gabonais. Dans la région, les discours anti-France sont devenus une mode pour les populistes. Ici, les tenants de ce discours sont d’abord ceux qui pensent être les Kémi Séba (militant panafricaniste franco-béninois) du Gabon, sans réellement avoir une sérieuse audience populaire, raison pour laquelle ils sont inaudibles.
Que pensez-vous de l’organisation au Gabon d’un sommet sur la protection et la valorisation des forêts tropicales ?
Un sommet tel que le One Forest Summit est important. Mais il serait plus important encore s’il était beaucoup plus inclusif. Je constate que dans leur brochette d’invités, personne n’a osé préparer ce sommet avec toutes les composantes de la société gabonaise qui ont une expertise sur les questions forestières. Comme dans tous les autres sommets on fait venir des amis, des dirigeants, pour la communication et pour faire beau. Mais on ne peut pas parler d’exploitation forestière sans intégrer le problème du conflit homme-faune par exemple. Pour plus d’inclusivité, j’aurais aimé que toutes ces personnes qui vivent ces phénomènes au quotidien montent à la tribune pour en parler.
A quelles avancées concrètes ce sommet pourrait-il aboutir, selon vous ?
Très sincèrement, cette rencontre ne sera pas différente des autres, comme les COP. La question des forêts pour le climat est devenue un gros business et ce business climatique profite à certains lobbies. L’exploitation forestière est la première menace de nos forêts. D’ailleurs, le Gabon n’est pas un modèle de conservation comme il le prétend, notamment concernant l’attribution des permis forestiers. Quand on regarde le taux d’attribution de ces permis, on constate qu’il est très élevé et plus de 80% du territoire est attribué à l’exploitation forestière. Ajoutez à cela les permis miniers et pétroliers, il n’y a plus d’espace pour la préservation. Ce taux d’attribution de permis forestiers en Afrique centrale, au Cameroun, en République démocratique du Congo comme au Gabon est très inquiétant. J’ai bien peur que d’ici quelques années, ceux qui détiennent ces permis se lancent dans l’exploitation de nos forêts et que la déforestation s’accélère grandement.
Propos recueillis par Laura Diab.