Trois questions à Pascal Dupont, responsable « Connaissance espèces » à l’UMS Patrinat
Infonature.media : Pascal Dupont, pour les non-initiés, l’intitulé de votre fonction –responsable de l’équipe « connaissance espèces » à l’UMS Patrinat- est un peu ésotérique… En quoi consiste votre métier ?
Pascal Dupont : En une phrase, à gérer la base de données nationale qui rassemble toutes les données sur les espèces collectées sur le territoire français. Mais pour vous répondre plus complètement, il faut expliquer ce qu’est l’UMS Patrinat. UMS signifie « unité mixte de services », et « Patrinat » est la contraction de « patrimoine naturel ».
Les Unités mixtes de services sont des structures développées par le CNRS, en partenariat avec d’autres organismes. Pour ce qui nous concerne, nous sommes sous la triple tutelle du CNRS, de l’Office français de la biodiversité (OFB) et du Muséum national d’histoire naturelle, qui héberge la centaine de collaborateurs de l’UMS sur ses sites de Paris, de Brunoy et de Dinard, principalement. Comme son nom l’indique, le principal objet d’une UMS c’est de rendre des services. Des services aux chercheurs, qui peuvent trouver dans nos bases de données les informations sur les espèces nécessaires à leurs travaux. Des services à l’Etat, pour répondre par exemple aux besoins du ministère de l’écologie sur le suivi des espèces qui relèvent de directives européennes (la directive faune-flore notamment). Et enfin des services à tous les naturalistes, en particulier aux associations spécialisées.
Historiquement, le ministère chargé de l’environnement a mis en place en 1979 le « secrétariat faune-flore », pour répondre à ses propres besoins de données naturalistes. Ce « secrétariat » est devenu par la suite le « service du patrimoine naturel » (SPN), toujours pour répondre aux besoins de l’Etat, mais on a très vite constaté que d’autres besoins s’exprimaient. C’est l’ancêtre de l’UMS Patrinat.
Au sein de l’UMS je m ‘occupe des espèces mais des collègues gèrent aussi les données sur les espaces. C’est à l’UMS que vous trouverez toutes les bases géographiques sur les pourtours des réserves nationales, des parcs nationaux, des sites Natura 2000, des ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique faunistique ou floristique), etc.
Vous diffusez très largement dans la communauté naturaliste un questionnaire pour comprendre les nouveaux besoins des utilisateurs de vos données. A quels nouveaux usages pensez-vous ?
L’équipe que je dirige a la charge de tout ce qui concerne les noms scientifiques des espèces en français : le « référentiel taxonomique national », qui concerne tout le monde vivant. Nous gérons tous les noms scientifiques, des bactéries aux mammifères… excepté pour le moment les virus parce qu’on ne sait pas où les mettre.
Deuxième point : nous avons la charge de la coordination des inventaires nationaux. Nous venons par exemple de publier l’Atlas des ongulés et des lagomorphes de France métropolitaine. Le troisième axe de notre travail, c’est l’élaboration d’une base de connaissances sur les espèces qui la partie que j’estime la plus intéressante. Nous avons numérisé toutes les informations disponibles, en particulier sur les espèces soumises à une réglementation, liées à une protection soit nationale soit par arrêté européen, ou sur les espèces exotiques envahissantes. Et depuis deux ans nous développons une base de données « trait de vie » sur les espèces. Lorsqu’on s’intéresse à des problématiques de connectivité entre populations, à des trames vertes et bleues par exemple, il est intéressant d’avoir des données sur les capacités de déplacement des espèces. C’est ce genre d’information que nous entrons en base de données.
Ça c’est ce que nous faisons aujourd’hui. Mais le périmètre de notre action est questionné au quotidien. Un exemple : nous sommes en charge de nommer scientifiquement toutes les espèces présentes sur le territoire français. Mais la Commission européenne demande à la France de surveiller des espèces… qui ne sont pas encore présentes sur son territoire ! De même, les chercheurs nous adressent des demandes qui dépassent les frontières nationales. L’Unité mixte de recherche Borea par exemple, travaille sur les espèces des eaux internationales : ils ont besoin des noms scientifiques de ces espèces… qui par définition ne sont pas sur le territoire français.
Par ailleurs, la connaissance des espèces évolue : prenez le cas du crapaud commun, Buffo buffo. Des études de biologie moléculaire ont montré que nous avons en France deux espèces distinctes, là où on pensait qu’il n’y en avait qu’une. Nous avions un taxon, Buffo buffo, nous en avons maintenant deux : Buffo buffoet Buffo spinosus.Que faisons-nous des données ? Elles restent marquées Buffo buffo ? Il en va de même pour la taupe : il y a en fait deux espèces différentes en France.
Aujourd’hui nous ne rendons pas des services spécifiques pour aider à mieux gérer ce type de problèmes, mais il y a un besoin, et nous devons aider les utilisateurs de nos bases à mieux gérer leurs données en fonction de l’évolution des connaissances. On est dans la biologie, dans la taxonomie, la connaissance évolue au cours du temps, et depuis que Linné a jeté les bases de la nomenclature scientifique des espèces en 1758, plein de choses se sont passées ! Ce type de problème va constamment arriver surtout avec l’avènement des outils de biologie moléculaire. Nous savons que nous devons rendre ce service-là, mais nous ne connaissons pas l’étendue du besoin. D’où ce questionnaire.
Vous êtes avant tout un spécialiste des insectes. La publication d’une étude allemande indiquant que les insectes terrestres sont en légère érosion à l’échelle mondiale, mais que les insectes aquatiques sont en expansion soulève une polémique internationale. Quelle est votre position ?
Mon domaine de compétence, ce sont effectivement les insectes, que j’ai découverts à l’université, grâce à un professeur charismatique, Gilbert Matz. Je m’orientais au départ vers la botanique : dans la région angevine d’où je viens, c’est dans ce secteur-là qu’on trouve du travail, chez les grainetiers, les sélectionneurs de plantes, etc. Nous avons eu une session sur les maladies des plantes, et quand Matz est venu nous parler des insectes, ça a été le coup de foudre ! J’ai travaillé par la suite une douzaine d’années à l’Office pour les insectes et leur environnement (OPIE), jusqu’à ce que je rejoigne l’UMS Patrinat. Pour comprendre le problème que pose cette étude allemande, il faut préciser qu’il s’agît d’une méta-étude, qui compile plus de 160 études de terrain. La méthodologie utilisée ne permet en aucune façon de parvenir aux conclusions qu’ils tirent, en particulier sur les insectes aquatiques. On ne peut pas non plus affirmer le contraire. En fait cette étude n’appelle aucune conclusion ! Pour conduire une méta-analyse de ce type il faut mettre en place un cadre méthodologique extrêmement rigoureux, ce qui n’a pas été fait dans ce cas. Ce que nous pouvons dire à partir des données que nous agrégeons dans nos bases, c’est qu’il y a une diminution importante des effectifs, qui concerne principalement les insectes terrestres. Pour les insectes aquatiques, on a trop peu d’études pour pouvoir conclure. Prenons le cas des éphémères : naguère, dans les années 70-80, on voyait auprès des cours d’eau des vols très importants d’éphémères. Ils ont quasiment disparu. Mais les choses peuvent changer très vite. L’amélioration de la qualité des eaux de surface a un effet sur les mammifères, la loutre par exemple, on constatera peut-être prochainement un même effet positif sur les insectes !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko