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3 questions à David Leclère, chercheur à l’International institute for applied system analysis (IIASA)

Il est encore possible d’arrêter les pertes massives de biodiversité, à condition d’actionner tous les leviers disponibles, notamment la demande d’alimentation humaine, selon une étude publiée jeudi. Titré « Infléchir la courbe« , ce travail initié par un collectif d’une quarantaine d’ONG internationales, paraît dans la revue Nature en parallèle à la publication d’un important rapport du WWF mettant en évidence un effondrement des deux-tiers des populations d’animaux sauvages. David Leclère, principal auteur de cette étude et chercheur à l’International institute for applied system analysis (IIASA), explique la démarche inédite et les conclusions de ce travail.

AFP : Quelle est la particularité de cette nouvelle étude ?

David Leclère : C’est la première fois qu’on évalue la faisabilité d’objectifs aussi ambitieux qu’inverser la courbe du déclin de biodiversité due à la transformation de l’utilisation des terres, tout en évaluant nos chances d’atteindre les autres objectifs de développement durable (ODD, 17 objectifs établis par l’ONU, à atteindre en 2030). Nous avons utilisé plusieurs modélisations appliquées à différents scénarios qui explorent une vaste gamme d’actions possibles. Le scénario de base est que rien ne change et confirme que la poursuite des tendances en matière d’augmentation de la population, de régimes alimentaires, de rendements agricoles et d’efforts de protection (de la nature) conduiront à la poursuite des pertes de biodiversité. Les six autres scénarios étudient en détail l’impact et les interactions entre trois grands types d’actions: mesures audacieuses de protection et de reconstitution (de la biodiversité); efforts sur l’offre (notamment alimentaire) et la réduction de l’empreinte en matière d’utilisation des sols; efforts sur la demande, comme la réduction du gaspillage ou la modification des régimes alimentaires, notamment la consommation de viande.

AFP : Que nous disent ces scénarios ?

David Leclère : Le plus ambitieux, qui combine toutes ces interventions, nous permet d’estimer qu’il est possible d’inverser le déclin de la biodiversité d’ici 2050. Mais si on met en oeuvre uniquement des mesures de protection et de restauration accrues, elles ne permettent pas d’aboutir à cette inversion, ni même de réduire de 50% les pertes futures de biodiversité. Et elles entraîneraient des hausses des prix alimentaires. Par contre, combinées à des efforts pour réduire notre demande future et ses conséquences sur l’utilisation des sols, ces mesures de protection accrues permettraient d’éviter les deux-tiers des pertes de biodiversité à venir, sans augmenter le prix des denrées alimentaires. Et elles offriraient d’autres bénéfices, réductions des gaz à effet de serre, de la consommation d’eau ou de risques sanitaires. C’est ce que nous appelons une approche « intégrée »: atteindre des objectifs suppose de faire des trocs –insécurité alimentaire contre préservation des espaces par exemple– mais permet aussi des synergies. Regarder le tableau d’ensemble, en termes d’objectifs comme d’actions, sera la clé pour dégager des solutions qui exploitent les synergies et réduire les trocs.

AFP : De combien de temps disposons-nous pour effectivement inverser cette courbe?

David Leclère : Si nous voulons cette inversion d’ici 2050, notre étude nous dit qu’il faut agir maintenant. Car les rythmes de rétablissement de la biodiversité sont beaucoup plus lents que ceux de sa destruction récente. Et tout retard dans l’action entraînera de nouvelles pertes de biodiversité qui pourraient prendre des décennies à réparer. De plus, certaines pertes sont irréversibles: quand une espèce est éteinte, elle l’est pour toujours. Enfin, une caractéristique de la biodiversité c’est qu’elle a des points de non retour: une fois passés certains seuils, les écosystèmes vont continuer à se dégrader.

Propos recueillis
par l’AFP