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Trois questions à Didier Bazile, chercheur au Cirad et membre du comité français de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)

Caroline Dangléant : la dégradation de la biodiversité et des services écosystémiques menace-t-elle nos agricultures ?

Didier Bazile : bien sûr ! L’agriculture, même la plus intensive, a besoin de la diversité biologique et des services écosystémiques comme la fertilité des sols, la pollinisation, etc. Les rendements mondiaux de blé stagnent depuis plusieurs années et entament même un déclin à cause de la perte de certains services. La biodiversité est fondamentale pour les questions agricoles. C’est d’ailleurs l’un des six champs thématiques stratégiques du Cirad, dont le titre est évocateur et cohérent avec une approche intégrée de l’agroécologie : « la biodiversité comme levier de développement et de résilience. »

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Il s’agit bien de s’appuyer sur la biodiversité pour développer les activités agricoles, et la notion de résilience est intimement liée à la diversité biologique d’un agroécosystème et à la façon dont les groupes sociaux gèrent de façon durable ces ressources biologiques. C’est un constat aujourd’hui parfaitement connu : sans biodiversité, un écosystème, qu’il soit cultivé ou naturel, est très vulnérable aux aléas. Il est crucial de changer notre regard sur l’agriculture pour ne pas lui attribuer un seul objectif de production, souvent uniquement lié au rendement, mais de considérer aussi son impact sur les services écosystémiques pour avancer vers une sélection multicritère. Nous avons besoin de biodiversité dans nos champs et dans nos assiettes, pour la santé des écosystèmes, mais aussi pour la nôtre. La biodiversité est, en effet, gage d’aliments plus sains et plus riches d’un point de vue nutritionnel. Par exemple, les variétés anciennes de blé étaient deux fois plus riches en protéines que celles cultivées aujourd’hui. Biodiversité, alimentation et santé sont intimement liées c’est pourquoi la recherche agronomique doit avancer vers une agriculture plus sensible aux enjeux nutritionnels. Cela nous obligera à revoir en profondeur nos modèles de production agricole.

Caroline Dangléant : à propos d’aléas, pouvez-vous nous préciser le lien entre dérèglement climatique et érosion de la biodiversité et des services écosystémiques ?

Didier Bazile : le changement climatique est considéré aujourd’hui comme la troisième cause d’érosion de la diversité biologique, derrière le changement d’usage des sols et l’exploitation directe des végétaux et animaux. Mais tous les experts prévoient que le changement climatique deviendra bientôt la principale menace qui pèsera sur la biodiversité et la disparition d’écosystèmes. Entre des aléas climatiques croissants d’un côté et la diminution de la biodiversité et de la résilience des écosystèmes de l’autre, nous nous attendons à un effet d’emballement. Il est difficile de prévoir quand démarrera cette phase d’accélération de la perte de biodiversité, mais elle semble incontournable. Un rapport technique devrait d’ailleurs être produit sur ce lien entre biodiversité et changement climatique par un rapprochement entre experts de l’IPBES et du GIEC dans les années à venir.

Caroline Dangléant : pourtant plusieurs actions sont déjà mises en place pour conserver la biodiversité et les services écosystémiques ?

Didier Bazile : effectivement, mais les objectifs et mesures mis en place pour protéger la nature, qu’ils soient gouvernementaux ou issus du secteur privé, restent très insuffisants. Ils sont malheureusement trop ciblés ou trop ponctuels pour contrer la tendance actuelle. Pire, ces actions se révèlent parfois même contre-productives. Par exemple, les incitations à la reforestation sont favorables au stockage du carbone dans le sol, mais elles peuvent concerner des plantations d’arbres mono spécifiques qui sont extrêmement pauvres en biodiversité et entrainent la perte de certains habitats. Cette inefficacité sera soulignée dans le rapport de l’IPBES, avec un accent mis sur les effets en cascades des instruments actuels.

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Extrait d’une interview
proposée Caroline Dangléant,
chargée du communiation du CIRAD