Trois questions à Anne Vourc’h, directrice du Réseau des Grands Sites de France.
ANES : Deux nouveaux territoires viennent de recevoir le label « Grand site de France » : les Îles Sanguinaires-pointe de la Parata, à Ajaccio, et la Conca d’Oro, vignoble de Patrimonio-Saint-Florent. Qu’est-ce que cela va changer, à la fois pour ces sites et pour le réseau que vous animez ?
Anne Vourc’h : Pour le réseau, cela signifie que nous passons de 15 Grands Sites de France à 17. La première condition pour obtenir le label, c’est de disposer d’un site classé au titre de la loi de 1930. Or il y a 2 700 sites classés. Comme vous voyez, nous ne sommes pas menacés de surabondance ! Ces chiffres situent le niveau d’exigence que représente le fait d’obtenir le label… et de le conserver. Car on ne l’obtient que pour six ans renouvelable, et le titre est intégralement remis en jeu à chaque échéance. Demander le label, c’est donc, de la part des gestionnaires des sites, s’engager pour longtemps dans une démarche d’amélioration continue, se donner les moyens d’une évaluation permanente, d’un recul sur les pratiques de gestion mises en œuvre. La démarche se déroule en deux étapes, et elle peut être longue. La structure gestionnaire dépose auprès de l’Etat une demande de mise en place d’une « Opération Grand Site » : le dossier doit préciser la dynamique du site, les problèmes qu’il affronte -le plus souvent il s’agît une question de fréquentation incontrôlée susceptible de dégrader le territoire-, il doit préciser aussi les mesures que le gestionnaire entend prendre pour gérer durablement le lieu. Le site demande donc à entrer dans la démarche et à y être accompagné par l’Etat. Pour la pointe de la Parata, cette démarche d’ « Opération Grand Site » a été validée en 2003. C’est à l’issue de ce cheminement que le site peut déposer sa demande de label, qui doit recevoir un avis favorable de la Commission nationale supérieure des sites, perspectives et paysages. Le Ministre en charge de l’Ecologie se fonde sur cet avis pour accorder, par décision ministérielle, le label. L’objectif du label, ce n’est pas d’amener plus de touristes sur des sites qui en accueillent déjà beaucoup trop ! Ce n’est pas « plus » de visiteurs, mais « mieux » de visiteurs. Par exemple, on peut essayer d’aller vers une fréquentation plus étalée sur l’année, plutôt que concentrée sur quelques semaines. Et surtout, accompagner le visiteur dans une expérience inattendue, plus complète, qui aille au-delà de venir manger une glace devant un paysage magnifique et repartir illico. Nous travaillons avec les sites à donner du sens à la visite. En ce sens, nous sommes dans une logique de « transition touristique », à l’image de la transition énergétique en cours, ou, plus largement, de la transition écologique.
ANES : Qualifier deux territoires corses de Grands Sites « de France » c’est presque une insulte, non ?
Anne Vourc’h : C’est à eux qu’il faudrait le demander ! Mais la question ne s’est jamais posée dans ces termes. Les deux sites sont entrés dans la démarche, ils ont accompli toute la procédure, qui a été validée par le Conseil des sites de Corse, et je n’ai pas vu le moindre article de presse critique sur ce point. Les deux démarches aboutissent d’ailleurs simultanément, mais elles ont suivi des chemins bien différents. Dans le cas de la Conca d’Oro, vignoble de Patrimonio-Saint-Florent, c’est la consécration de l’engagement d’une génération de viticulteurs dans les années 80-90, à une époque où leur vignoble, qui existe depuis l’Antiquité, était menacé de disparition par la pression urbaine et touristique. Ils se sont battus pour revaloriser leur vignoble, ils ont obtenu la première AOC corse (Vin de Patrimonio), tout cela au nom d’une vision de leur territoire. Le site n’a été classé au titre de la loi de 1930 qu’en 2014, mais ce classement s’accompagnait d’un plan de gestion ambitieux, qui recoupait largement les exigences de la démarche « Grand Site de France ». Le site n’avait donc pas été dégradé par le tourisme. Pour les Îles Sanguinaires-pointe de la Parata, la situation était très différente. Le site est situé sur la commune d’Ajaccio, c’est le lieu de pique-nique des Ajacciens le week-end. Il a fallu entreprendre de lourds travaux pour réhabiliter le site, préserver le paysage, créer des chemins pour éviter le piétinement, y gérer les circulations, créer une « maison du site ». Ce qui a pris du temps. Le point commun aux deux démarches, c’est la volonté du réappropriation du site par les habitants. C’est essentiel : ce sont bien les habitants qui façonnent le paysage, pas les touristes !
ANES : Quels seront les prochains « Grands Sites de France » labellisés ?
Anne Vourc’h : Le site dunaire Gâvres-Quiberon devrait être labellisé en 2018, de même que l’Estuaire de la Charente-Arsenal de Rochefort, et le site Cap d’Erquy-Cap Fréhel. A l’horizon 2020 le réseau devrait regrouper 27 à 28 sites labellisés. Mais vous l’avez compris : notre objectif n’est en aucun cas de « faire du chiffre » ! Il est beaucoup plus qualitatif. Il s’agît d’entrer dans une démarche de gestion durable du paysage, qui est « l’œuvre conjuguée de la nature et de l’homme ». Nous préférons avancer lentement, sur chacun des sites, vers une démarche de futur désirable !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko