Trois questions à Florian Kirchner, Chargé de programmes « espèces » au Comité français de l’UICN, à l’occasion de la 13e Conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB) qui se tient en ce moment à Cancun (Mexique).
ANES : Pourquoi L’UICN choisit-elle ce moment pour dresser un bilan des politiques de protection de la nature en France ?
Florian Kirchner : A l’occasion de cette grande réunion, les Etats signataires de la Convention évaluent la mise en œuvre de leurs engagements, à mi-parcours des objectifs fixés à Aichi pour 2020 (réduction de moitié du rythme de perte des habitats naturels, création d’aires protégées sur au moins 17 % des zones terrestres et 10 % des zones marines et côtières, amélioration de l’état de conservation des espèces les plus en déclin, etc). Nous espérons ne pas revivre en 2020 la frustration que nous avions connue en 2010, alors que les Etats n’avaient pas été capables de faire le point sur le chemin parcouru, faute d’indicateurs pertinents. Pour la France, ce bilan à mi-parcours s’impose d’autant plus que la loi fondatrice des politiques de protection de la nature, adoptée en 1976, a tout juste quarante ans cette année, et qu’une nouvelle loi « pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » vient d’être adoptée.
ANES : Votre bilan est très orienté « espèces »…
Florian Kirchner : Nous n’avions pas l’ambition de dresser un tableau exhaustif, mais d’apporter une contribution complémentaire aux analyses produites par d’autres cette année, comme France Nature environnement (FNE) et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), ou le Ministère chargé de l’environnement. En revanche, nous avons souhaité parcourir tout le champ des espèces : faune et flore, vertébrés comme invertébrés, en métropole et en outre-mer. Et même s’il est clair que le tableau d’ensemble est préoccupant, s’il est évident que les écosystèmes se dégradent, que des espèces continuent à disparaître ou sont de plus en plus menacées, si à chaque nouvelle évaluation de la Liste rouge nationale, nous constatons des niveaux de menaces toujours élevés… les spécialistes de notre réseau ont également souhaité mettre l’accent sur les succès obtenus grâce aux politiques volontaristes que la loi de 1976 a permis d’impulser. Prenez le cas de la loutre par exemple : il y a quarante ans, elle était en très mauvaise situation en France. Qui aurait parié à cette époque qu’elle serait aujourd’hui classée en « préoccupation mineure » sur la Liste rouge ? On pourrait parler aussi du retour du bouquetin des Alpes ou du vautour moine, ou de l’amélioration – bien qu’encore fragile – de la situation des tortues marines en outre-mer…
ANES : Mais pour obtenir ces résultats pour quelques espèces charismatiques, il a fallu déployer des moyens très lourds (réintroductions, plans nationaux…). On ne peut pas mobiliser de tels moyens pour toutes les espèces !
Florian Kirchner : Si vous voulez dire que ce n’est pas en réintroduisant quelques bouquetins qu’on viendra à bout de la 6ème crise d’extinction, on peut difficilement vous contredire… Effectivement, ces actions ne sont pas duplicables à l’infini, mais elles tracent la voie à suivre pour d’autres espèces. Ce qu’il est important de constater, dans tous les exemples que nous citons, c’est que ces succès ont été rendus possibles par des actions efficaces et conjointes des pouvoirs publics et des associations de protection de la nature. Au-delà des actions ciblées sur les espèces les plus menacées, la protection des espaces est évidemment toute aussi importante, mais l’essentiel est également d’agir sur les pressions. Il faut repenser notre agriculture, pour nourrir la planète et faire vivre les paysans, mais sans détruire la nature. Continuer à pêcher le poisson que produisent les océans, mais de manière responsable et durable. Imaginer l’aménagement du territoire avec les infrastructures dont nous avons besoin, mais sans miter ni fragmenter les habitats naturels. Et questionner l’intérêt des grands projets à fort impact, lorsque leur utilité publique est très discutable. Pour poursuivre l’action, la loi sur la reconquête de la biodiversité, adoptée cette année, vient ajouter des principes importants à ceux de 1976 : la non-régression du droit de l’environnement, la réparation du préjudice écologique intégrée au code civil, des plans d’actions renforcés pour les espèces endémiques menacées, etc. Nous espérons que cette loi donnera une nouvelle impulsion, qui contribuera à nous rapprocher des objectifs d’Aichi. Mais la loi est une chose, les moyens déployés pour son application en sont une autre… Sans moyens financiers et humains à la hauteur des enjeux, nous pourrions encourir d’amères déceptions…
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko