Alors que l’Allemagne s’apprête à bannir le glyphosate, la France lance une consultation sur les distances de sécurité entre épandages et habitations. Le journaliste Fabrice Nicolino met en doute l’indépendance de l’Agence chargée d’autoriser les pesticides. Et une initiative citoyenne européenne vise à sauver les abeilles des pesticides.
L’interdiction de l’herbicide glyphosate produit par Monsanto entrera en vigueur le
31 décembre 2023 en Allemagne, lorsque la période actuelle d’autorisation par l’Union européenne arrivera elle-même à échéance. Sans attendre 2023, l’Allemagne prévoit dès l’année prochaine de premières limitations, avec une interdiction dans les parcs et jardins particuliers, ainsi que de premières restrictions pour les agriculteurs.« Nous critiquons la décision du gouvernement allemand d’éliminer progressivement le glyphosate d’ici la fin de l’année 2023, a réagi Liam Condon, membre du conseil d’administration de Bayer qui a racheté Monsanto. Cette décision ne tient pas compte du jugement scientifique, vieux de plusieurs dizaines d’années, d’organismes de réglementation indépendants dans le monde entier, selon lequel le glyphosate est sans danger lorsqu’il est utilisé correctement », a-t-il déploré dans un communiqué.
En Allemagne, des biologistes tirent la sonnette d’alarme au sujet de la chute vertigineuse, en partie due aux herbicides, des populations d’insectes, perturbant les écosystèmes, notamment la pollinisation des plantes. Outre son action néfaste sur les insectes, le glyphosate est devenu une question sociétale après son classement comme « cancérogène probable » en mai 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer, un organe de l’OMS. Il fait l’objet de milliers de procédures aux Etats-Unis contre Monsanto, producteur de cet herbicide et filiale du géant allemand de la chimie, Bayer. « Ce qui nuit aux insectes nuit aussi aux humains, a fait valoir mercredi la ministre social-démocrate de l’Environnement, Svenja Schulze. Ce dont nous avons besoin, c’est d’entendre des bourdonnements, toujours plus de bourdonnements », a-t-elle lancé lors d’une conférence de presse. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Le glyphosate et le feu vert donné en 2017 par l’UE à son utilisation avaient créé des frictions au sein de la coalition d’Angela Merkel entre conservateurs, favorables à son utilisation, et sociaux-démocrates, qui y sont opposés. Cette interdiction a été également mal accueillie par l’Association allemande de l’industrie chimique (VCI), qui regroupe des entreprises du secteur.« Pour nos entreprises, cette décision signifie une perte massive de la capacité de planification. L’industrie doit pouvoir compter sur un cadre juridique fiable », a-t-elle réagi dans un communiqué. Outre la protection des insectes, le gouvernement allemand a présenté un ensemble de mesures en faveur du bien-être animal et l’information des consommateurs. De nouveaux étiquetages de la viande de porc permettront notamment à l’acheteur de connaître les conditions d’élevage.
Et pendant ce temps, en France, on se demande si 5 mètres est une distance de sécurité suffisante entre une habitation et un engin qui épand des produits phytosanitaires dans le champ voisin. Le gouvernement vient de lancer une vaste consultation publique sur les distances minimales à respecter entre habitations et zones d’épandage de pesticides, obligé d’anticiper sur son calendrier initial après les polémiques nées de tentatives de régulation locale par des maires. Cette consultation en ligne, d’une durée de trois semaines et ouverte à tous, porte sur les distances minimales à respecter entre habitations et zones d’épandage de produits phytosanitaires agricoles dans tous les départements où aucune charte locale n’aura été signée, a indiqué le ministère de l’Agriculture. Le gouvernement a proposé samedi de fixer cette distance minimale à 5 mètres pour les cultures dites basses (céréales par exemple) et à 10 mètres pour les cultures hautes, telles que les vignes ou l’arboriculture. Il justifie cette décision par les préconisations scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) allant en ce sens. Elle durera jusqu’à fin septembre, et ses résultats seront analysés et dépouillés pendant deux mois afin d’élaborer un décret qui doit entrer en application le 1er janvier 2020, dans les zones où aucune charte départementale n’aura été signée. Elle devait initialement démarrer le 1er octobre, mais elle a été avancée sous l’effet des polémiques créées par un arrêté municipal très médiatisé pris par le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine) Daniel Cueff, suivi d’autres élus locaux. Son arrêté interdisait l’utilisation de produits phyto-pharmaceutiques à moins de 150 mètres d’habitations. Il a été suspendu par la justice administrative. Parallèlement, d’autres négociations locales dans les préfectures se poursuivent entre ONG, agriculteurs et élus pour l’élaboration de chartes départementales sur l’utilisation des pesticides.« Le cousu-main de ces chartes prévaudra sur le décret » a prévenu le ministère. A ce jour, huit ont été signées.
« Nous croyons à l’intelligence locale: si une charte institue une zone de non traitement à 8 mètres ou au contraire à 50 mètres d’un bâtiment, c’est elle qui prévaudra sur le cadre national »a indiqué le ministère. La FNSEA, principal syndicat de la profession agricole, a indiqué ce week-end son soutien aux « solutions locales » pour encadrer les épandages de pesticides. « L’objectif c’est de développer les chartes, le dialogue sur le terrain avec les maires et les associations de riverains, pour qu’on puisse trouver des solutions où tout le monde s’y retrouve »,a indiqué à l’AFP Christian Durlin, vice-président de la commission environnement. La Coordination rurale a en revanche exprimé ses doutes sur la création de telles chartes: « Qui va représenter la société civile dans les préfectures ? On ne le sait pas, a constaté Bernard Lannes, son président, lundi lors d’une conférence de presse à Paris. Si on reste avec ce type de charte, tout le monde s’assoira dessus, a-t-il assuré en rappelant l’échec, selon lui, de la charte que les agriculteurs avaient signé avec les industriels et la grande distribution à l’issue des Etats généraux de l’alimentation. De trois à cinq mètres ce sont déjà des milliers d’hectares enlevés à la production agricole, mais 150 mètres, c’est non, car ça représente des millions d’hectares », a-t-il ajouté. M. Lannes a également rappelé que l’Anses avait déjà déterminé pour chaque produit phytopharmaceutique homologué la zone de non traitement appropriée en fonction de la santé humaine. Du côté des ONG, l’association Générations futures a dénoncé lundi « les carences de cette évaluation de l’Anses. Ce n’est pas l’Agence qui est en cause mais la méthodologie à la fois obsolète et limitée imposée par le document guide de l’EFSA (Agence européenne) de 2014 pour l’évaluation des pesticides suivie par l’Agence, assure-t-elle. Selon l’association, le projet de réglementation est fondé sur des données vieilles de plus de trente ans ».
Le journaliste Fabrice Nicolino, qui publie Le crime est presque parfait. L’enquête choc sur les pesticides et les SDHI, met au contraire en doute l’indépendance de l’ANSES : « un des premiers problèmes est que l’Anses est chargée des autorisations de mise sur le marché. Or, on demande à la même structure d’éventuellement interdire les produits qu’elle a autorisés. C’est impossible, ce sont deux fonctions radicalement contraires. Il faut les dissocier, déclare-t-il dans un entretien à Reporterre. Surtout, il faut briser les liens étroits entre Anses et industrie. Dans le livre, je démontre sans peine que l’Anses publie depuis des années, en commun avec l’Inra [Institut national de la recherche agronomique] et Arvalis [L’institut technique agricole de la filière grandes cultures] des notes communes de conseil pour l’usage des pesticides SDHI. On comprend qu’ils sont engagés du côté des SDHI. Sans l’avoir dit.Donc, l’Anses fait partie du lobby des pesticides. Le mal est à l’intérieur de l’agence, constitutif, consubstantiel. Quand on est dans une impasse pareille, la seule solution est une dissolution suivie d’une création, avec le concours de la société civile, d’une agence radicalement indépendante. Il ne faut plus aucun contact avec les intérêts industriels ».
Fabrice Nicolino est par ailleurs, avec François Veillerette,figure importante du mouvement anti-pesticides en France et directeur de l’association Générations Futures,à l’origine de la campagne Nous voulons des coquelicots. Une autre initiative citoyenne vient de voir le jour, à l’échelle européenne cette fois : « Sauvons les abeilles et les apiculteurs ! Vers une agriculture respectueuse des abeilles pour un environnement sain », est une nouvelle initiative citoyenne européenne (ICE) qui sera formellement enregistrée le 30 septembre prochain. Portée par une alliance d’organisations citoyennes, d’associations d’apiculteurs et de citoyens (dont François Veillerette), elle fait le constat du déclin de la biodiversité dans l’U.E, en lien avec les méthodes agricoles : « Dans l’Union européenne, les abeilles disparaissent, les oiseaux ont cessé de chanter dans nos campagnes et le nombre d’agriculteurs diminue à un rythme alarmant. Notre modèle actuel d’agriculture intensive a entraîné un appauvrissement massif de la nature: les papillons et autres insectes ont disparu, tout comme des oiseaux autrefois communs, deviennent rares aujourd’hui. »
La coalition demande à l’Union européenne de proposer des lois permettant de supprimer progressivement les pesticides de synthèse d’ici à 2035, rétablir la biodiversité dans les zones agricoles et aider les agriculteurs pendant cette phase de transition, notamment en donnant priorité aux exploitations agricoles de petite taille, diversifiées et ayant des pratiques durables. Elle motive l’utilisation d’une ICE en ces termes : « Par le passé, les européens ont utilisés les ICEs afin de bloquer la privatisation de l’eau ou de rendre le processus d’autorisation des pesticides plus transparent. Notre initiative arrive à un moment crucial: alors que les institutions européens sont en train de négocier le futur des subsides des agriculteurs, l’opposition citoyenne aux pesticides et la lutte pour protéger le climat et la biodiversité démontrent que le modèle actuel d’agriculture intensive, basé sur l’agrochimie et orienté vers les marchés internationaux n’a plus le soutien de la population. »
Pendant un an, les organisateurs de l’initiative collecteront des signatures de soutien. Si ces dernières dépassent le million et proviennent d’au moins sept Etats membres de l’U.E, la Commission européenne devra présenter des propositions de textes relatives aux pollinisateurs ou motiver une décision de ne pas donner suite à l’initiative.
Le site Internet de l’initiative
Le site de la consultation publique
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