Un projet de piste dédié à la pratique des sports mécaniques (motos, karting..) menace directement une zone humide située sur la commune de Baie-Mahaut (Guadeloupe). D’après le Comité français de l’UICN, le projet, en gestation depuis 10 ans, se construit depuis 2016 sans que les procédures réglementaires soient achevées.
Ce projet de circuit moto date de 2008, lorsque la Ville de Baie-Mahault avait organisé des « Etats généraux de la jeunesse » dont était ressortie l’idée d’un « lieu dédié à la pratique des sports mécaniques, en toute légalité et sécurité ». Une zone humide en partie dégradée (mais en voie de cicatrisation) au milieu de la mangrove, à proximité du pont de la Gabarre, près de la Rivière Salée, avait été privilégiée pour ce circuit (voir images ci-dessous). L’accord de principe de l’Etat sur cet emplacement avait été donné par le Préfet dès 2012, à condition que l’emprise du projet ne dépasse pas 2 hectares et s’implante « sur la partie la plus dégradée du site». Le projet a évolué, ses ambitions revues à la baisse pour éviter l’épreuve de l’enquête publique, et les travaux de défrichage ont démarré dès 2016 (voir image aérienne de droite ci-dessous). Cependant la demande de concession sur le Domaine Public Maritime (DPM) de 30 ans n’a été déposée qu’en 2017, malgré un avis « très défavorable » du Conseil scientifique du Parc National de Guadeloupe, et le dossier complet en juillet 2018.
Pour qu’un projet de telle ampleur puisse se construire en DPM, la loi exige de prouver qu’il répond à un service public nécessitant la proximité de la mer… ce qui n’est a priori pas le cas pour un circuit moto. D’autre part, ce type de projet doit comporter au titre de la loi sur l’eau « une analyse des avantages liés à l’aménagement de la zone humide au regard des dommages prévisibles et de l’absence de solutions alternatives dans des zones voisines », analyse qui n’a pas été faite ici alors que d’autres sites, aux enjeux écologiques moindres, auraient pu être étudiés. Enfin, le projet est incompatible avec les documents de planification territoriale, développés par la Région, que sont le Schéma d’Aménagement Régional (SAR) et son chapitre valant Schéma de Mise en Valeur de la Mer (SMVM), qui classent le site comme « espace naturel à forte protection ». Pourtant, en mars dernier (et donc après que les travaux de remblaiement aient déjà démarré) la DEAL a publié un arrêté dispensant le projet de réaliser une étude d’impact, considérant que « le projet n’est pas susceptible d’entraîner des impacts notables sur l’environnement », alors qu’il engendrera inévitablement des dommages conséquents sur un site à valeur écologique importante.
Lorsque l’on se penche sur les détails du dossier, de nombreuses contradictions apparaissent : le projet, pourtant présenté comme accueillant des manifestations d’envergure nationale, ne prévoit ni voie d’accès, ni parking, ni de bâtiments type hangar, tribune, ou espaces de restauration. L’emprise réelle du projet une fois finalisé sera donc possiblement le double de ce qui est affiché dans le dossier du projet, et ce au sein d’une zone humide, inondable, parmi les plus emblématiques de Guadeloupe, à proximité immédiate d’un espace remarquable du littoral, au sein de l’aire maritime adjacente du Parc National de Guadeloupe et de la Réserve de Biosphère. Ce site est aussi l’un des derniers couloirs écologiques entre la Grande-Terre et la Basse-Terre, habitat important pour nombre d’espèces d’oiseaux protégées dont le Pic de la Guadeloupe (Melanerpes herminieri, localement nommé « toto bwa »), un oiseau endémique et classé Quasi menacé sur la Liste rouge des espèces menacées en France. Le projet, dont l’impact sonore (estimé entre 95 à 102 décibels) causera de profonds dérangements à la faune alentour, perturbera pendant la phase de construction, comme pendant la phase d’utilisation, certaines espèces migratrices comme les parulines, ainsi qu’un nombre important d’espèces protégées de mammifères comme les chauves-souris, de végétaux et de reptiles, tels que le Sphérodactyle bizarre (Sphaerodactylus fantasticus) et l’Anolis (Anolis marmoratus) qui ont été observées sur le site.