Politique des seuils

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Imaginez, dans toute sa complexité, un système sanguin formé d’innombrables connexions entre les vaisseaux permettant le transport du flux de vie en tous points du réseau. Ce système a un problème : il est criblé de caillots qui entravent son bon fonctionnement. Mauvaise nouvelle : l’analogie peut aisément être faite avec l’état des rivières européennes, dont le cours est aujourd’hui fragmenté par environ un million de caillots de béton : les barrages. Ces ouvrages mettent à mal leurs continuité écologique en empêchant le passage des sédiments et des poissons. Le WWF vient de publier un simple calcul : la suppression d’environ 7 500 barrages stratégiques permettrait la libération et la reconnexion de près de 50 000 km de rivières en Europe, soit le double de l’objectif fixé par la Commission européenne dans le cadre de la stratégie Biodiversité pour 2030. Objectif auquel la France souscrit pleinement. Pourtant, d’étranges nouvelles nous parviennent de l’hémicycle des députés, où les esprits se sont échauffés sur la loi Climat et Résilience : un amendement a été adopté, qui empêche désormais l’administration de prescrire la destruction de plus de 100 000 seuils de moulins à eau  – un tous les cinq kilomètres de rivière en moyenne ! – devenus obsolètes. Le prétexte officiel : en plus de constituer un patrimoine culturel, ils peuvent se transformer en mini-centrales électriques décarbonées et servir la diversification du mix énergétique de la France. Barbara Pompili ne s’y est pas trompée qui, en vain, a rappelé que la petite hydroélectricité produite par de telles microcentrales représente moins de 1 % de la production nationale et que le rapport bénéfice-risque est donc très en faveur de la protection de la biodiversité des milieux aquatiques. L’élan du WWF semble bien compromis lorsque, en lieu et place de l’effacement de barrages, la France inscrit dans le marbre la pérennité d’obstacles inutiles, sous la pression de lobbies sans doute soucieux du bâti pittoresque bien plus que de la transition énergétique. Nicolas Hulot, en quittant la vie politique, n’a pas été assez précis dans son choix de mots : il semblerait que notre gouvernement ne pratique pas la politique des petits pas, mais celle des gros seuils (de moulins).