Qui détient la vérité sur le reboisement spontané des montagnes ?

Photo d'illustration ©zbigniewpawlak7 de Pixabay

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Une menace pour la biodiversité ou au contraire, un succès ? L’impact du reboisement naturel des montagnes sur la biodiversité fait débat. Une équipe de recherche internationale et pluridisciplinaire  a analysé le discours autour de quatre aires protégées de France, Espagne et Écosse pour mieux comprendre les divergences.

Bien que la question de l’impact du reboisement spontané des montagnes sur la biodiversité semble relever du domaine des sciences naturelles, une équipe internationale de recherche a montré que le débat est également présent dans le domaine social. Cette équipe pluridisciplinaire a analysé les discours autour de quatre aires protégées de France – Parc national des Pyrénées et Parc national des Cévennes, d’Espagne – Parc national de Montseny et d’Écosse – Parc national de Cairngorms. La régénération spontanée des forêts survient lorsque des terres sont abandonnées de toute activité anthropique. De nouveaux arbres et arbustes poussent alors naturellement, sans aucune intervention ou traitement apporté par l’humain. Cette régénération constitue un changement majeur dans l’utilisation des terres. Les chercheurs ont montré que les avis divergent en fonction des pays aux contextes écologiques et sociaux différents.

L’étude publiée dans Environmental Science & Policy indique qu’en France, les gestionnaires des aires protégées considèrent l’invasion des prairies et des landes d’altitude par de jeunes arbres comme une menace pour la biodiversité. Ils soutiennent l’élevage pastoral pour que les troupeaux, en broutant, freinent ce qu’ils appellent « la fermeture des milieux », c’est-à-dire la colonisation progressive des milieux ouverts par des espèces végétales. En Espagne, le parc national de Montseny reconnaît également les bienfaits des activités humaines dans le façonnage du patrimoine naturel. À l’inverse, l’Écosse voit le reboisement naturel comme un succès pour la biodiversité. Les gestionnaires cherchent même à réduire les populations de cervidés qui broutent les jeunes pousses et perturbent la croissance de nouveaux arbres et arbustes.

Environ 93 % de l’Espagne est boisée contre seulement 16 % de l’Écosse. Dans ce pays du nord de l’Europe, les sols sont plutôt acides, quand au sud du continent ils sont davantage calcaires. C’est dans un premier temps pour ces raisons écologiques que le débat fluctue. Comme le dit Picasso « s’il n’existait qu’une seule vérité, on ne pourrait peindre des centaines de tableaux sur un même sujet ». Ainsi, si les avis sont si différents dans un tel débat, c’est bien que les vérités de chacun le sont aussi. C’est pour cela que les auteurs se sont intéressés au contexte social, culturel et politique de chaque aire protégée. Ils ont constaté que les gestionnaires des aires en Europe ont relativement peu de pouvoir pour accomplir leur mission de préservation de la biodiversité : ils ne sont pas propriétaires des terres et ont peu de moyens réglementaires pour contraindre ou inciter ceux qui les possèdent à suivre leurs recommandations. Ils se réfèrent à d’autres acteurs locaux, politiques ou encore à l’opinion publique pour légitimer leurs actions. En France, on retrouve un discours souhaitant maintenir l’élevage pastoral pour diverses raisons. Les gestionnaires des parcs et acteurs des territoires se sont ainsi alliés autour de la nécessité de maintenir des milieux ouverts. Des arguments en faveur de la régénération spontanée émergent tout de même petit à petit, mais restent minoritaires. En Écosse, la politique de gestion des aires est complètement différente. Là-bas, les aires étudiées sont des domaines privés dans lesquelles les propriétaires ouvrent leurs portes à la chasse récréative réservée à une élite. L’opinion publique dominante est de plus en plus critique face à cette pratique jugée injuste socialement et néfaste pour l’environnement. Face à ces critiques, les gestionnaires du parc national de Cairngorms se sont alliés pour mettre en œuvre une politique de reboisement au nom de la biodiversité. En Espagne, le débat est un peu plus tempéré. Les deux idéaux coexistent. Celui de la forêt intacte est porté par les touristes et nouveaux venus sur le territoire attirés par la nature du parc. Celui d’un paysage façonné par l’homme est quant à lui soutenu par le parc en lui-même.

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