Une stratégie d’aires protégées ne suffira pas à inverser la courbe de la biodiversité

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Par Michaël Weber, Président de la Fédération des Parcs naturels régionaux de France, Président du Parc naturel régional des Vosges du nord, Maire de Woelfling-lès-Sarreguemines

Avec sa nouvelle stratégie nationale des aires protégées, l’État veut affirmer sa volonté d’élargir le réseau des aires protégées et d’en améliorer la gestion et l’efficacité.En tant que président d’un réseau qui apportera à cette stratégie une contribution majeure, je ne peux que féliciter ce volontarisme affiché. Bien sûr les moyens réellement mis en œuvre en face de ces objectifs seront déterminants pour leur réussite mais nous ne souhaitons pas présumer d’atermoiements en ces temps de relance économique et d’urgence environnementale. Si les moyens sont là et si nos capacités d’action sont optimisées, saurons-nous pour autant, répondre aux attentes ?

Hélas, la situation catastrophique impose que nous regardions la vérité en face et que nous fassions preuve de responsabilité. Sans décisions beaucoup plus fortes, l’échec est assuré pour au moins deux raisons. La préservation du naturel doit s’imposer dans toutes nos activités, y compris au sein des villes. Si l’homme est un élément de cette nature, il doit vivre avec elle, dans un rapport d’égalité et pas de domination. La faune doit pouvoir vivre et se déplacer sur l’ensemble de notre pays, y trouver des lieux pour se nourrir, des abris pour nicher, des sols aux cultures variées et dépourvus de poisons chimiques. La flore doit être respectée dans sa diversité et dans son milieu. Nous aimerions tous y croire, mais protéger la nature dans des sanctuaires qui lui seraient réservés est important mais ne suffira pas. Les aires protégées n’auront pas d’efficacité durable au milieu de déserts biologiques. En inondant les Français d’images d’ours polaires et de baleines pour les faire adhérer à la cause nous entretenons cette illusion mortifère.

D’autre part, notre expérience de gestion d’espaces protégés, ouverts aux activités humaines, nous oblige à rappeler que la préservation de la biodiversité ne peut pas se limiter à la nature « remarquable ». Pour réussir à inverser la courbe d’érosion, c’est bien l’ensemble de notre système de production que nous devons interroger et accompagner dans cette mutation. La nature ne doit plus être la variable d’ajustement de notre modèle agricole, de la gestion de nos forêts ou face à l’urbanisation galopante. Nous avons trop longtemps cru que nous pouvions nous le permettre. Nous ne le pouvons plus.

Le président de la République, lors du One Planet Summit 2021, nous a expliqué que tout ça prenait du temps. Pourtant la question n’est pas tant de savoir de combien de temps nous avons besoin mais de combien de temps nous disposons encore.  Ne croyez pas que les Parcs naturels régionaux de France baissent les bras. Au contraire, nous sommes prêts à multiplier les collaborations avec l’ensemble des acteurs territoriaux pour que la biodiversité ne connaisse plus de frontières ou de limites administratives artificielles. Nous ferons notre part dans nos Parcs et en dehors, même si nous savons que c’est insuffisant. Mais pour réussir, les changements doivent être plus profonds !

Des exemples de pistes à explorer ?  Les parcs travaillent depuis des années avec les collectivités locales et les associations à réduire l’éclairage public. Pourquoi ne pas bonifier les dotations de fonctionnement des communes qui jouent le jeu ? Aujourd’hui, chaque commune ou intercommunalité est encouragée à mettre en place un atlas de la biodiversité. Avec ces indicateurs de référence, l’Office français pour la biodiversité pourrait périodiquement constater une amélioration ou une dégradation de la situation. Avec un impact sur les dotations des uns et des autres, cela devrait réveiller la fibre écologique des plus endormis. Idem pour l’artificialisation des sols. Notre soif de « développement » encourage encore trop souvent ceux qui détruisent plutôt que ceux qui protègent.

Si nous avons su mettre en place un dispositif comme la loi SRU pour favoriser l’habitat social, nous devons pouvoir encourager ceux qui font des efforts et pénaliser ceux qui s’y refusent sur un sujet aussi vital que la biodiversité, et ce sur l’ensemble du territoire, pas seulement dans nos Parcs !

L’agriculture est l’autre levier essentiel pour agir sur la préservation de la biodiversité. Et la politique agricole commune, la PAC, décidée par l’Union européenne en est la clé. Sa réforme en cours ne semble pas aller dans le sens d’une véritable transition agro-écologique. Pourtant, les Parcs naturels régionaux aux côtés des agriculteurs et d’autres acteurs font des propositions pour une agriculture et une alimentation plus localisée et plus respectueuse : réorientation des aides vers les petites et moyennes exploitations intensives en emploi, contrats de transition agro écologique, contrats de relocalisation, conversion vers le bio… Les solutions déjà éprouvées ne manquent pas, ne passons pas à côté de cette opportunité.

Alors, au moment de l’adoption de la stratégie nationale des aires protégées, faisons tous, gestionnaires et décideurs, élus et citoyens, preuve d’audace. C’est pourquoi, les Parcs naturels régionaux lancent un nouvel appel à des Assises nationales de la biodiversité impliquant l’ensemble des acteurs, l’État mais aussi les collectivités territoriales et les filières économiques. Des assises transparentes, préparées sans précipitation paralysante, avec des propositions innovantes, y compris fiscales, qui restent à construire collectivement.