Tribune offerte à Jean-François Noblet, naturaliste, conférencier, auteur.
J’espérais de la grande nature, un spectacle épargné et éternel, quelque chose de fort et de sublime. Histoire de compliquer ce désir, je voulais du lointain, de l’exotique dans une ile australe. Gravir le piton de la Fournaise devint mon rêve brûlant et mon chemin de croix naturaliste. Je voulais voir le commencement du monde et la gestation minérale du centre de la terre, balayée par le vent de l’antarctique. On m’avait dit : « S’il y a du brouillard, tu trouveras des repères de peinture blanche le long de l’itinéraire qui change selon les coulées de lave et les éruptions ». A l’aube d’un soleil bienvenu, émergeant d’un océan de nuages orangés, je commençais ma balade pour arriver quatre heures plus tard au bord du cratère éteint, silencieux, endormi.
On parle beaucoup aujourd’hui de la pollution généralisée du plastique dans la mer, le sol, la nourriture que nous ingérons et l’air que nous respirons.Dans ce désert de lave froide et de rochers fondus et noirs, c’est une autre avalanche qui nous guette le long du sentier : celle des Kleenex, et autres lingettes et Sopalins dont je dénonce ici les fabricants responsables. J’en ai compté des centaines, entiers ou en confettis. Tout le temps, partout ! Là le papier blanc maculé de merde est juste posé au bord du chemin. Là il s’est accroché au seul buisson qui survit. Là il est caché dans une fente de rocher. Pas une minute de marche sans pester contre ces déchets si voyants, remplis de morve, d’urine ou de virus. Sous l’excuse facile qu’il est biodégradable on s’en débarrasse sans soucis, la conscience tranquille, histoire de ne pas alourdir son sac ou d’avoir à laver un mouchoir. Mon rêve est devenu une colère sombre contre tous ces abrutis qui salissent ce qui devait être un terrain neuf, un milieu pionnier, un parc national renommé.Comment salir la planète avec du blanc ?
Ce geste fautif, rapide et discret démontre que nous n’avons rien compris. Ce déchet blanc marque notre empreinte d’humains irrespectueux d’un site et de tous ceux qui rêveraient d’être les premiers à passer ici. Il nous alerte sur l’importance du moindre geste irréfléchi, habituel, idiot et sur l’emprise du jetable dans notre société. Un jour viendra où on aura honte de cela et où nos enfants nous insulteront d’avoir osé agir ainsi. Un jour viendra où une éruption magnifique brûlera définitivement toutes ces traces de notre gaspillage.
En attendant prenez mouchoirs en tissu et briquets et lisez Comment chier dans les bois de Kathleen Meyer (Edition Edimontagne)
Jean François Noblet
www.ecologienoblet.fr