Nicolas Floc’h, photographe des paysages sous-marins et de la couleur de l’eau

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Apnéiste et photographe, Nicolas Floc’h essaie de « rendre visible l’invisible« : capturer la couleur de l’eau, graver les paysages sous-marins des côtes françaises, et, au passage, aider à étudier des écosystèmes menacés.

Enfant, Nicolas Floc’h plongeait dans l’océan Atlantique, à La Turballe (Loire-Atlantique), près de la maison familiale. Et il a assisté à l’évolution : « En quinze ans la forêt de laminaires – des algues marines fixées aux rochers – a disparu et s’est transformée en désert« . Aujourd’hui âgé de 50 ans, le gamin qui fuyait l’école est devenu photographe, après une parenthèse comme marin-pêcheur avant de reprendre les études, et un constat s’est imposé: l’absence de représentation des paysages sous-marins. D’où cette proposition au long cours : « inventorier les paysages des côtes françaises, sous la surface« . Quand il rencontre l’AFP, au printemps, son dernier projet est présenté au Fonds régional d’art contemporain à Marseille (Frac) : une balade en noir et blanc le long des 162 kilomètres de côtes du Parc national des Calanques. Mais, Covid oblige, le public est absent. Baptisé « Invisible« , ce projet ne pouvait pas mieux mériter son nom. Pour cette expédition le long de ces criques étroites et escarpées de Méditerranée, Nicolas Floc’h a plongé pendant trois mois, en apnée le plus souvent, avec bouteilles parfois. Résultat : 30.000 photos, entre trois et 30 m de profondeur, au grand angle, en lumière naturelle. « Grâce à ce travail, nous disposons d’un fonds d’images à un instant zéro, une base de travail pour évaluer la transformation de ces paysages« , explique Thierry Botti, de l’Observatoire des sciences de l’univers à l’Institut Pytheas, commanditaire de ce projet avec la Fondation Camargo et le ministère de la Culture.

Ici le logo de Star Wars émerge, incongru, parmi quelques algues. Là une canette de Coca-Cola échouée sur le sable. Plus on s’approche de Marseille, plus les détritus sont présents. Comme toujours ou presque chez l’artiste breton, le parti pris est celui du noir et blanc, en hommage aux pionniers américains du genre, O’Sullivan ou Jackson : « Le noir et blanc, c’est la tradition de la photographie de paysages. On ne sait pas où on est, sur une autre planète, ça stimule l’imagination« , argumente le photographe, préférant évacuer « le côté exotique de la couleur« . « La mer, l’océan, ce n’est pas un aquarium, un espace scénarisé, formaté, avec la faune ou le plongeur en évidence« , insiste Nicolas Floc’h. Alors que ces photos attendent désormais le public, loin de Marseille, jusqu’au 11 juillet à Bruxelles à la Fondation Thalie, puis en novembre dans le cadre de « Paris Photo » à la galerie Maubert, Nicolas Floc’h va replonger. Après les calanques ou la côte d’Opale (Hauts-de-France), ce sera à nouveau la Bretagne, avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer). Et toujours ce but, derrière les photos : montrer l’impact sur les écosystèmes marins du réchauffement climatique et de l’activité humaine. « Avec les photographes américains de la Grande Dépression (au début des années 1930), la crise se lisait sur les visages. Là elle se lit dans les paysages. C’est d’autant plus visible que les migrations des écosystèmes sont six fois plus rapides dans l’eau que sur terre« , alerte-t-il.

Mais l’amateur de noir et blanc sait élargir sa gamme pour son autre projet, « La couleur de l’eau« . Une traque qui l’a mené jusqu’à Taïwan, en attendant le Golfe du Mexique, en 2022. Là encore « c’est l’invisible – les phytoplanctons – qui rend visible« , expliquait l’artiste : « Une eau très pure tire vers le violet magenta. Et cela peut aller du rouge sang au bleu en passant par l’orange, le jaune ou le vert« . Croisée avec les données scientifiques, cette exploration picturale aide à analyser l’évolution biologique du milieu marin : « Les chercheurs complètent ces photos avec les images satellites et en déduisent des informations sur la composition de l’eau, le cycle du carbone et la santé de l’océan« , se félicite l’artiste. Au Frac, un gigantesque damier, du bleu turquoise au vert émeraude, illustrait les différentes teintes de l’eau des calanques : « Plus on s’éloigne des terres, plus elle est bleue, a constaté le plongeur. Près de Marseille, le vert est lié aux rejets de la ville, qui provoquent des floraisons de phytoplanctons« . « Au-delà de la beauté esthétique du travail de Nicolas, il y a le regard des chercheurs« , insiste M. Botti, auprès de l’AFP : « Et ce vert, nous y voyons d’abord un témoignage de la pollution« .