Le directeur général de l’Office français de la biodiversité (OFB) expose sa vision des missions de l’Office et de son avenir, de l’état de la biodiversité en France, et des « dossiers chauds » du moment : chasse, agriculture…
Pierre Dubreuil en 5 dates
1968 : naissance au Mans (Sarthe)
1990 : maîtrise de droit public
1996 : directeur de cabinet du député-maire de Saint-Germain-en-Laye, Michel Péricard
2013 : directeur général de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)
2016 : directeur général délégué du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
L’Office français de la biodiversité, que vous dirigez, soufflera sa première bougie à la fin de l’année. Quel premier bilan dressez-vous de ces premiers mois de fonctionnement marqués par la crise sanitaire ?
Le premier défi de l’OFB, c’est de créer une culture d’établissement qui permette à tous les agents de se mobiliser au service de nos missions. Et même s’il y a eu un ralentissement à cause du Covid et notamment pendant le confinement, la mayonnaise a pris, sur le terrain, entre les agents de l’ancienne Agence française pour la biodiversité (AFB) et ceux de l’ancien Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), dont la fusion, au premier janvier de cette année, a constitué l’OFB. Ce que je ressens dans mes déplacements, c’est que les agents se sentent aujourd’hui agents de l’OFB, ce qui était loin d’être gagné il y a 9 ou 10 mois. Evidemment c’est variable selon les territoires, mais majoritairement les agents travaillent très bien ensemble et exercent les mêmes missions. Parfois ils se forment réciproquement.
C’est tout de même le choc de deux cultures, entre un Office qui existait de longue date, avec une pratique très centralisée, et une AFB créée depuis trois ans à peine, et dont toutes les composantes n’étaient pas encore totalement intégrées…
Mais avant même la création de l’OFB, les agents des deux établissements travaillaient déjà ensemble au service de missions communes ! Sur les 2 800 agents qui concourent aujourd’hui aux missions de l’Office, 1 900 sont des policiers de l’environnement. Qu’ils fassent de la police de l’eau, de la police de la chasse, ou de la police de l’usage de la nature, c’est toujours de la police et il y a des pratiques communes, ou au moins convergentes. Evidemment, en un ou même en deux ans vous ne supprimerez pas les origines historiques de la culture de chacun : on ne peut pas renier d’où on vient, et d’ailleurs je ne demande à personne de renier son origine, son passé ou son histoire. Néanmoins ce que j’observe c’est que par les missions et par l’approche territoriale, les agents se réunissent sur les enjeux, et partagent ces enjeux, même s’il faut aussi que chacun soit formé sur les compétences spécifiques qui n’étaient pas encore siennes.
La pression qui pèse sur la biodiversité aquatique, terrestre ou marine, les atteintes à la nature les réunissent plus efficacement que n’importe quel schéma administratif. C’est la première victoire elle va s’affermir dans le temps : il faudra malgré tout du temps pour que cette culture partagée devienne une culture commune.
Notre deuxième victoire, elle aussi en construction, c’est que le dialogue entre les parties prenantes au sein de l’OFB est engagé à travers la gouvernance : nous dialoguons avec le monde de l’eau, le monde de la chasse et de la pêche, le monde des associations de protection de la nature, le monde de l’agriculture… Ils portent des intérêts très différents, mais ils se retrouvent dans nos commissions, dans notre gouvernance, et ils se parlent sur leurs projets.
Vous voulez faire de l’OFB un « parlement de la nature » ? Une sorte de machine à produire du consensus ?
Ni l’un ni l’autre. Je n’aime pas le mot consensus, qui amènerait chacun à se renier ! Je veux que personne ne se renie, je respecte l’identité de chacune des parties prenantes, avec lesquelles le dialogue doit s’organiser. Notre rôle est de les aider à se réunir autour de cet impératif commun qu’est la protection de la biodiversité, en prenant conscience de leur intérêt partagé autour des projets. Prenons par exemple un sujet d’apparence facile : les haies. Que l’on soit chasseur, agriculteur, randonneur, protecteur de la nature, on peut parler le même langage parce que tout le monde est d’accord pour planter des haies qui sont des réservoirs de biodiversité, des éléments de paysage, et en même temps des sujets qui structurent la culture française.
Pourtant il y a encore des personnes qui arrachent des haies, et la police de l’environnement est amenée à sanctionner ces arrachages de haies (y compris pendant le confinement !) et la question peut s’avérer conflictuelle. D’où la nécessité de se parler…
Quant au « parlement de la nature », il existe déjà : c’est le rôle du Conseil national de la biodiversité.
Quels sont vos prochains objectifs dans la construction de l’OFB ?
Nous devons définir et affirmer notre stratégie. Nous y travaillons à travers la construction et la négociation de notre Contrat d’objectifs et de performance (COP) avec nos ministères de tutelle. Aujourd’hui la stratégie de l’Office est le prolongement de celles de l’ONCFS et de l’AFB, formalisée dans les COP de ces deux établissements. Dès l’an prochain nous aurons nos propres priorités –on ne pourra pas tout faire en même temps !- et des projets mobilisateurs, des thématiques phare, rassemblant nos forces.
Par exemple ?
Nous sommes en train de construire ces projets ! Nous venons de parler des haies, la question des continuités écologiques sera aussi au cœur de nos priorités.
Et puis, il y a un point qui me tient à cœur, c’est l’implication des citoyens. Le président de la République nous a demandé de créer un établissement qui soit le plus visible possible auprès des Français. Je veux que la question de la biodiversité, et des pressions qui pèsent sur la biodiversité, soit une question que tous les citoyens s’approprient. Pour ça il faut parler un langage comme celui qu’on tient sur le climat, on a donc besoin d’indicateurs. Aujourd’hui vous avez des indicateurs sur le climat et le changement climatique, mais vous n’avez pas d’indicateurs précis et en même temps larges et visibles du grand public sur l’évolution de la biodiversité, à part le nombre d’espèces qui relève plutôt des ONG. Ce que je veux faire c’est mettre en œuvre, à l’échéance 2021, une batterie d’indicateurs compréhensible par tous les citoyens et dont on suivra l’évolution pour tous les milieux aquatiques, terrestres, etc. Je souhaite relier la connaissance, notre parole d’experts, à la mobilisation des citoyens, de tous les citoyens, qu’ils soient ruraux, urbains, ou péri-urbains. Les ruraux n’ont pas forcément la même approche de la biodiversité que les urbains, nous devons parler à tous avec notre langage d’experts, parce que nous ne sommes pas une ONG.
Pour y parvenir, il faut un minimum de notoriété. Or aujourd’hui peu de Français connaissent l’OFB, qui vient d’être créé dans une relative discrétion. Comment comptez-vous bâtir cette notoriété, et sur quelle identité voulez-vous l’asseoir ?
Une identité ça ne se construit pas en un an, mais en plusieurs années. Cet été nous avons fait une campagne plutôt bien perçue dans les territoires, « Ne gâchons pas notre lien avec la nature », qui exprimait mon intention stratégique : faire en sorte que nos agents soient les ambassadeurs de la biodiversité à la rencontre des citoyens dans tous les territoires. Voilà l’identité que je veux pour l’OFB. Je souhaite que tous les Français connaissent l’Office à travers les agents qui le représentent dans les territoires. Ils ne sont que 1900, ce n’est pas beaucoup mais c’est déjà une force de frappe. Des agents qui font de la police de l’environnement, qui sont là pour faire respecter la nature quand il y a des atteintes à la biodiversité, mais qui sont aussi porteurs d’autres missions que la police : l’expertise, la connaissance, la sensibilisation à la biodiversité. L’entrée territoire est pour moi fondamentale, parce que la biodiversité parle certes aux gens par ses enjeux mondiaux, mais j’ai la conviction que l’on n’embarquera nos concitoyens que si on leur parle de la biodiversité ordinaire, celle qui s’étiole à leur porte de manière accélérée chaque jour à cause de l’artificialisation et d’autres pressions. Tous ces sujets-là nous devons les porter sur le long terme au contact des citoyens. Nous avons ouvert un site internet, 52 gestes pour agir, nous diffusons de courtes vidéos, très ludiques Préserver la biodiversité c’est aussi nous préserver. On y voit par exemple comment la surpêche des requins sur la côte est des Etats Unis a fait s’effondrer la population de coquilles St Jacques en baie de Cheasepeake, les requins moins nombreux, leurs proies, les raies ont augmenté, et elles mangent des coquilles…en bout de chaîne, le tourisme est impacté….
Nous avons un comité d’orientation citoyen, à qui nous soumettons certains de nos programmes pour les améliorer, par exemple récemment une plaquette sur les espèces exotiques envahissantes. Des citoyens seront également présents dans le futur comité d’orientation de l’établissement.
Je compte sur les citoyens pour faire pression sur les dirigeants : que ce soit la gouvernance économique des entreprises ou les élus nationaux, les décideurs ne prendront au sérieux cette question de la biodiversité que si les citoyens font pression. Parce que les citoyens votent et choisissent le futur en étant consommateurs, en étant salariés, dans les comportements de leur vie quotidienne. C’est cela ma vision stratégique pour l’OFB.
Un éveilleur de mobilisation citoyenne ?
Un aiguillon des consciences. Je veux élever le niveau de conscience sur la biodiversité. L’accélération de la destruction des habitats naturels, l’érosion accélérée de la biodiversité c’est un fait, une réalité scientifiquement avérée. Est-ce une fatalité ? Peut-être, peut-être pas. Le rôle de l’OFB c’est que ça n’en soit pas une. Pour cela il faut absolument faire monter le niveau de conscience de chacun sur les pressions qui pèsent et qui continuent de peser de plus en plus : il n’y a pas de ralentissement mais au contraire une accélération. Nous devons porter ce sujet au même niveau que la conscience du danger climatique. D’ailleurs le lien entre climat et biodiversité est réel. Nous devons aussi le documenter et le faire connaître.
Ce rôle d’ « aiguillon des consciences » que vous revendiquez doit-il aussi s’exercer en direction des milieux économiques ? Les milieux agricoles par exemple ?
Mais bien sûr que nous travaillons avec les agriculteurs, avec les chambres d’agriculture, avec les différentes associations de la filière agricole, avec la FNSEA ! Notre rôle est de les accompagner vers des pratiques plus favorables à la biodiversité. Je vous rappelle d’ailleurs que nous avons la double tutelle du ministère de la transition écologique et de celui de l’agriculture et de l’alimentation. Soyons honnêtes et lucides : on est à un carrefour, à un changement de modèle de société, un moment très douloureux pour les agriculteurs, au carrefour entre l’économie et l’écologie. Notre rôle est de fournir à l’Etat des connaissances, à lui de prendre ses responsabilités pour prendre des décisions.
Quels sont les critères d’évaluation que vous vous fixez pour vérifier que dans, disons cinq ans, vous aurez réussi votre mission ?
Le premier critère, c’est que les Français sachent ce qu’est l’OFB, nous reconnaissent, sachent ce que font les agents en gris et bleu sur le terrain, et quelles sont leurs missions. Nous aurons réussi si l’OFB est visible et connu, car c’est ainsi que nos actions pourront porter. Evidemment le deuxième critère sera que nous ayons pu faire prendre conscience de l’importance de protéger la biodiversité. Si en plus la perte de biodiversité s’arrête, voire –sans trop rêver…- si la courbe s’inverse, nous n’aurons pas perdu notre temps…
Il y aura des obstacles. Lesquels redoutez-vous le plus ?
Il y en a beaucoup, et de différentes natures ! Le plus redoutable, c’est la segmentation : chacun reste dans son coin et considère que ses intérêts s’opposent à ceux des autres groupes. L’agriculteur pense agriculture, les protecteurs de la nature pensent avoir la solution, les chasseurs restent avec les chasseurs, les forestiers avec les forestiers… Si tout le monde reste dans une logique de cloisonnement d’intérêts, ce sera difficile : l’objectif de l’OFB c’est que ces gens se parlent et construisent des projets en commun. C’est un obstacle permanent que l’on peut surmonter en dépassant les postures pour parler de projets concrets.
L’autre obstacle c’est la moindre prise en considération de la biodiversité par rapport à d’autres enjeux économiques en considérant que la nature s’adaptera. C’est un obstacle quasi-philosophique que parfois j’entends et qui renvoie à nos missions : nous devons faire comprendre ce qu’est le vivant, comment il fonctionne, la dynamique parfois complexe de la biodiversité. Par exemple comment la biodiversité interagit avec la santé humaine, ce que vous mangez, ce que vous buvez, tout ça c’est de la biodiversité. Nous avons donc un devoir de pédagogie, c’est la base. Le blocage c’est qu’on est face à des acteurs qui disent « oui enfin… il faut d’abord qu’on mange avant de respecter la nature ». Or ce qu’on mange est le reflet de notre respect de la nature. On ne peut pas opposer économie et biodiversité ou santé et biodiversité parce sans biodiversité, il n’y a plus de production de qualité, voire plus du tout de production.
Vous comptez argumenter sur l’enjeu économique de la biodiversité ?
Oui. La biodiversité crée des emplois, elle ne fait pas que coûter ! Et si on ne la considère que comme un coût ou une contrainte, alors oui c’est un point de blocage. Ca peut être une contrainte économique, il ne faut pas se leurrer : pour l’agriculture c’est une contrainte par rapport au modèle agricole français et européenne actuel. Reste que la biodiversité est à la fois une solution et une opportunité.
C’est une tâche immense. Les moyens alloués à l’OFB y suffiront-ils ?
Je fais avec les moyens que j’ai… Evidemment que ce n’est pas suffisant. La tâche est gigantesque : protéger, convaincre, faire connaître, faire comprendre… 2800 agents c’est déjà beaucoup, et la fusion nous aide. Bien sûr il nous en faudrait plus pour être à la hauteur. Mon rôle de directeur général est de faire avec ce qu’on me donne et de faire comprendre qu’il faut nous en donner plus. Il est aussi de réussir à démultiplier nos forces en mobilisant à nos côtés des partenaires qui alloueront aussi des moyens pour la biodiversité. Il arrive que nous soyons entendus : dans le plan de relance gouvernemental, près de 100 millions d’euros nous sont alloués. Ce n’est pas anecdotique…
Vous voulez « inverser la courbe de l’érosion de la biodiversité ». La loi de 2016 est intitulée « loi pour la reconquête de la biodiversité ». On pourrait vous reprocher de manquer d’ambition…
Le bilan dressé par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) quatre ans après la promulgation de la loi est assez critique. Il la juge « ambitieuse mais lourde à appliquer ». La création de l’OFB, qui est le fruit de négociations de plusieurs années entre des parties prenantes qui ne partagent pas toujours les mêmes intérêts, en est cependant un aboutissement majeur. Néanmoins la loi n’est pas parvenue à enrayer la perte de biodiversité et il faut aller plus loin. La mobilisation de tous les citoyens, entreprises, collectivités… est essentielle pour démultiplier les efforts. Plus nos concitoyens exprimeront de « demande sociale » en faveur de la biodiversité, plus les décideurs seront enclins à engager des changements transformateurs, et plus ces changements seront acceptés ! La cohérence de l’engagement public est également un facteur clef.
Cette cohérence est parfois difficile à déceler : ré-autorisation des néonicotinoïdes, démantèlement des procédures de concertation dans le droit de l’environnement, etc. Votre position n’est-elle pas un peu inconfortable ?
L’OFB est certes un établissement public, mais pas un service déconcentré de l’Etat comme peuvent l’être une DREAL ou une DDT ! Nous sommes un établissement public de l’Etat. Nous sommes là pour appuyer les politiques publiques, leur apporter notre expertise et les documenter. En tant qu’établissement public régi par un principe d’autonomie, l’OFB a une liberté de manœuvre et d’expression différente d’un service déconcentré, même si évidemment on travaille avec eux. Nos missions sont dans la loi : pour résoudre cette contradiction, voire ces injonctions paradoxales, nous devons nous en tenir à nos missions. Sur les néonicotinoïdes, comme plus largement sur les phytosanitaires, nous accompagnons des programmes sur l’agroécologie, nous fournissons l’expertise, et quand on nous le demande nous donnons notre avis qui n’est pas un avis d’ONG, avec une expertise nourrie par des connaissances et pas par des opinions. Nous ne sommes pas des militants, pas une association, mais un établissement public avec ses missions établies par la loi. Ensuite, c’est à l’Etat de décider en fonction de la connaissance que nous lui fournissons. Lorsque nous constatons des incohérences, nous en discutons bien entendu avec nos ministères de tutelle.
Vous devez votre expertise à qui : à vos tutelles ou au public ?
Les deux. A nos tutelles parce que c’est notre mission, au public parce que c’est aussi dans notre mission de faire progresser la connaissance de la biodiversité. Pas de la même façon : on ne balance pas un rapport de 30 pages sur la Stratégie nationale pour la biodiversité comme ça… Mais quoi qu’il en soit notre destinataire final est bien le citoyen.
Parmi les missions de l’OFB, la police de l’environnement occupe une place de premier plan. Comment ses actions sont-elles coordonnées avec celles des autres forces de police de la nature ? Et comment la chaine pénale est-elle structurée pour que ces actions soient suivies d’effets ?
Nous collaborons avec les autres polices de l’environnement, l’Office national des forêts, le Conservatoire du littoral, les parcs nationaux (qui sont rattachés à l’Office)… Nous faisons en sorte qu’il y ait des croisements, des formations, des partages de connaissances. Ca fonctionne déjà plutôt bien mais c’est une question de moyens, de temps… Sur la partie judiciaire je suis très optimiste : il se passe beaucoup de choses en ce moment. L’OFB a vu ses prérogatives de police judiciaire renforcées : aujourd’hui nos agents ont des pouvoirs de police judiciaire plus importants que n’en avaient hier les agents de l’ONCFS. La seule chose qu’ils ne peuvent pas faire c’est de contraindre, ils ne peuvent pas mettre en garde à vue mais ils ont le pouvoir de convoquer, ils ont accès aux fichiers de police et de gendarmerie, ils peuvent faire un tas de choses qu’ils ne faisaient pas avant, sans aller jusqu’à être des Officiers de police judiciaire -ce sera peut-être le cas un jour. Dans la réflexion en cours sur la justice environnementale, sujet qui monte en puissance, nous avons proposé à la chancellerie, à la gendarmerie, à l’Intérieur et à nos ministères de tutelle de créer un pôle national, un parquet environnemental en lien avec les autres forces que sont l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (OCLAESP), la gendarmerie la police nationale. L’idée suscite l’adhésion notamment du ministère de la justice, qui jusqu’alors n’en percevait pas ou peu l’intérêt. Dans une note envoyée aux procureurs cet été, la chancellerie présente l’OFB et indique qu’il faut travailler avec nous. Résultat les procureurs se tournent vers nous. Nous avons à l’Office deux magistrats détachés, dont une forme les agents à la police judiciaire.
Il y a dans certaines régions une Agence régionale de la biodiversité (ARB), héritée de l’AFB, et dans d’autres il n’y en a pas. Comment un Office national peut-il s’adapter à cette diversité territoriale ?
Nous héritons d’une situation, les ARB existent, elles sont dans la loi. Je suis pragmatique : les régions ont la compétence biodiversité et elles sont chefs de file. L’OFB est chargé auprès d’elles d’aider à créer des collectifs territoriaux pour la biodiversité. Là où il y a une ARB, tant mieux. Il y en a 7 en France présidées par les Régions et vice-présidées par l’Office qui donne de l’argent, des moyens, et qui accompagne. Pour que ça fonctionne il faut que ce ne soit pas des « machins », mais que ça génère des projets, des Territoires engagés pour la nature, des Entreprises engagées pour la nature…
Dans d’autres régions il n’y a pas d’ARB. Dont acte. Nous devons être souples et pragmatiques. La région Grand Est n’a pas d’ARB, mais elle s’investit à fond dans le programme des Territoires engagés pour la nature. Je ne suis pas un fétichiste des ARB : on peut être vertueux avec ou sans ARB. Nous devons, nous, nous attacher à accompagner les régions dans leurs particularités, à avancer avec elles à leur rythme.
C’est le contenu qui m’importe, pas le contenant !
Parmi les dossiers hérités de l’AFB et de l’ONCFS, l’un des plus épineux est celui de la gestion du sanglier. Comment l’abordez-vous ?
Humblement. Nous n’avons pas la solution miracle. Il y a du reste plusieurs sujets sur le sanglier, notamment la peste porcine africaine : l’OFB est aussi en charge du suivi sanitaire. Mais concernant la pression du grand gibier en général et du sanglier en particulier, ma conviction est que ce problème ne pourra pas être réglé sans concertation étroite entre agriculteurs, chasseurs et forestiers. S’ils ne se parlent pas on n’y arrivera pas. Et de facto, ils ne se parlent pas. C’est bien eux qui détiennent la solution, pas les seules battues administratives. Il y a trop de sangliers, il y a des dégâts aux cultures et aux forêts, il y a aussi trop de cervidés, donc il faut une régulation plus importante. Ce dialogue sur l’équilibre sylvo-cynégétique doit se nouer dans la durée. Le rôle de l’OFB est d’inciter ces acteurs à se parler et de fournir aussi une connaissance pratique sur le sujet. Très franchement, pour le moment on n’y est pas. Mon ambition : un tour de table entre ces acteurs qui doivent traiter ça entre eux. Je prendrai prochainement des initiatives pour que les acteurs se parlent avec l’aide de l’Etat.
Même chose pour le loup et l’ours. Si les acteurs ne peuvent pas se parler on n’avancera pas. Les défenseurs de la protection du loup ou de l’ours continueront à considérer les éleveurs comme des tueurs, les éleveurs resteront sur des positions anti-loup ou anti-ours ; et considèrent même l’établissement public comme un défenseur des prédateurs alors que nous sommes là pour les aider. On ne s’en sortira pas si à un moment ces acteurs ne mettent pas le drapeau dans leur poche pour essayer de trouver des solutions.
Autre sujet de friction, entre les chasseurs et les protecteurs de la nature : le concept de « gestion adaptative ». Pour les uns il doit s’appliquer à toutes les espèces, pour les autres être réservé aux espèces chassables. Quelle est la position de l’OFB ?
La gestion adaptative concerne effectivement les espèces de la faune sauvage qui sont chassables, et plus particulièrement les espèces migratrices. Alors que nous faisons face à un effondrement de la biodiversité que les scientifiques qualifient de 6e extinction, il est légitime de questionner la chasse, comme d’ailleurs l’ensemble des usages qui sont faits de la nature. Ce qui est au coeur du débat, c’est l’impact des prélèvements cynégétiques sur les espèces en mauvais état de conservation, en balance avec la gestion des milieux mise en oeuvre par les chasseurs pour favoriser la présence du gibier. Ces pratiques peuvent en effet être bénéfiques à bien d’autres espèces, non chassables celles-là. La gestion adaptative permet de traiter collectivement ces questions, en distinguant ce qui relève de l’expertise scientifique et ce qui appartient à la concertation entre les acteurs.
Ce concept très prometteur a été initié il y a quelques années par l’ONCFS et l’UMS Patrinat (AFB-MNHN-CNRS) à la demande du ministère en charge de l’Ecologie. L’idée : disposer de tableaux les plus précis possibles pour permettre un grand recensement des populations d’espèces concernées. On confronte la déclaration de prélèvement faite par chaque chasseur (obligatoire) avec les connaissances acquises par les scientifiques.
Ce sujet et quelques autres – notamment les chasses traditionnelles- alimente des tensions ravivées entre les chasseurs et les associations de protection de la nature (APN). L’OFB a-t-il les moyens de « faire baisser la pression » ?
Chargé du suivi des espèces chassables dont les effectifs de populations peuvent faire débat entre les différents usagers de la nature (APN, chasseurs…) ou des espèces protégées sensibles (loup, ours, lynx), l’établissement doit en permanence fonder ses positions sur des études étayées. J’observe d’ailleurs que personne n’en conteste le sérieux. Sur la question de la sécurité à la chasse également, l’OFB est pourvoyeur des chiffres concernant l’accidentologie et a fait de la sécurité à la chasse l’une de ses priorités. L’OFB parle à tous les acteurs impliqués dans la protection de la biodiversité. Il existe en effet des lieux lui permettant d’échanger avec le monde des fédérations de chasse, par exemple le Conseil national de la chasse et de la faune sauvage (CNCFS), qui se réunit régulièrement sous l’égide de la Direction de l’Eau et de la Biodiversité (ministère de la Transition écologique), et réunit également des associations de protection de la nature.
Nombre des programmes qui, aujourd’hui, mettent à une même table des interlocuteurs divisés, par exemple chasseurs et agriculteurs dans le domaine de la petite faune sauvage (les premiers reprochant aux seconds de pratiquer une agriculture défavorable à la petite faune sauvage de plaine – perdrix notamment) ont été mis en place par l’établissement public.
S’agissant plus précisément de la chasse à la glu, la décision prise par l’Etat français n’est qu’une demi-surprise au regard de ce que les études montraient.
Qu’attend l’OFB des deux grands rendez-vous prévus en 2020, le congrès mondial de l’UICN à Marseille et la COP 15 de la Convention pour la diversité biologique, qui se tiendront –on l’espère- en 2021 ?
Nous attendions beaucoup du congrès de l’UICN, nous en attendons toujours beaucoup. Le contexte et les données sont clairs, la biodiversité va mal et l’espèce humaine en est impactée, car nous faisons partie et dépendons du vivant. Nos sociétés reposent sur les services rendus par la nature. La crise sanitaire nous rappelle d’ailleurs cela. Donc il faut agir, stopper son érosion et même reconquérir, pour cela l’IPBES (ce Giec de la biodiversité) nous incite à mener des « changements transformateurs ». Le Congrès doit être un moment fort de la mobilisation pour engager ces changements.
Nous sommes très investis dans sa préparation, et notamment pour les Espaces Génération Nature, ce lieu d’accueil du grand public, initiative de la France pour un Congrès Mondial. Chacun pourra découvrir, comprendre, échanger sur la biodiversité et ce avec tous les acteurs du sujet. Pour notre part nous aurons un espace pour présenter de façon ludique, par des animations, nos missions et les enjeux. Nous préparons une entré immersive qui plongera les visiteurs dans un futur souhaitable, si nous engageons les mesures qu’il faut, ou au contraire un futur difficile si nous restons sur la trajectoire actuelle. Bien sûr notre stand dans le forum du Congrès permettra d’interagir avec les délégations présentes.
Le 20 octobre, à Metz, auront lieux les « Rendez-vous Biodiversité & Entreprises » liés au dispositif « Entreprises engagées pour la nature -act4nature France », porté par l’OFB. Ce dispositif vise à mobiliser les entreprises françaises en faveur de la biodiversité́, dans le cadre de ces grands événements nationaux et internationaux à venir. « Entreprises engagées pour la nature », c’est un dispositif qui va permettre à une entreprise d’être accompagnée si elle s’intéresse à la thématique de la biodiversité et si c’est le cas, de l’aider à la prendre en compte dans ses activités.
Pour résumer, et d’une manière générale, je dirais que nous espérons que 2021 sera la « super –année » que nous espérions pour 2020 au niveau international. Si le calendrier est tenu, ce sera une année essentielle. En effet, le congrès mondial de l’UICN à Marseille, qui a lieu tous les quatre ans, est un moment important dans la mobilisation de la société civile, des ONG, des gouvernements autour de la biodiversité qui est censé servir de tremplin pour permettre des négociations fructueuses à la COP 15. Nous avons la chance que le congrès se tienne en France et espérons donc pouvoir mobiliser les acteurs français (entreprises, collectivités, grand public …) autour de la protection de la biodiversité.
La COP de la CBD devra définir le cadre des 10 prochaines années en matière de biodiversité au niveau international. La France fait partie des pays moteurs sur le sujet, notamment avec le Costa-Rica pour promouvoir une protection de 30 % de la planète au sein de la coalition pour la haute ambition. Parmi les enjeux de cette COP, il y a la transparence et la redevabilité, c’est-à-dire la manière dont les Etats rendront des comptes de leurs actions en faveur de la biodiversité. Ce sont des éléments essentiels du prochain cadre pour éviter de se retrouver dans 10 ans sans de réels progrès. Ce cadre sera aussi celui dans lequel s’inscrira la prochaine stratégie nationale biodiversité sur laquelle nous travaillons avec le ministère de la Transition écologique et les autres partenaires. Il est donc vital que les propositions ambitieuses de la France dans l’arène internationale puissent être reconnues.
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko