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Trois questions à Jean Jalbert, Directeur général de la Tour du Valat.

ANES : lors de journée mondiale des zones humides de 2019, un rapport avait préconisé l’élaboration d' »un socle national de mesures communes à toutes les zones humides« . Un an plus tard, où en est-on de l’état de connaissance et de la protection des zones humides en France ?

Jean Jalbert : la connaissance des zones humides en France est plutôt bonne et n’est en aucun cas une limite d’action. Nous avons assez d’informations pour agir, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays. Les zones humides ont pâti, et pâtissent encore d’une image négative : elles sentiraient mauvais, seraient des réservoirs de maladies… C’est le but de cette nouvelle journée mondiale des zones humides, le 2 février prochain, que de briser cette image chez le grand public en montrant que ce sont des milieux extraordinaires. Nous voulons profiter du fait que 2020 est l’année de la biodiversité, avec le congrès mondial de la nature de l’UICN à Marseille et la COP15 de la Convention sur la diversité biologique en Chien, pour mettre en valeur les trésors d’espèces animales et végétales que recèlent les zones humides. Beaucoup d’animations vont avoir lieu dans le monde ; la France est la championne en la matière ! Quant à la mise en œuvre du rapport de 2019, elle ne se fait pas du jour au lendemain, mais il y a des choses qui bougent. Par exemple, l’objectif de restauration des tourbières, qui stockent beaucoup de CO2, est bien pris en compte à l’échelle nationale. La création récente de l’Office Française de la Biodiversité (OFB) a également permis une avancée notable : le rétablissement des caractères alternatifs de la définition des zones humides. Avant, une zone ne pouvait être considérée comme une zone humide que si elle était plus ou moins inondée ou gorgée d’eau ET si elle arborait majoritairement des plantes hygrophiles. Désormais, l’un ou l’autre de ces critères de définition suffit. C’est un progrès car cela augmente le nombre potentiel de ce qui pourrait être considéré comme une zone humide – et donc prétendre à être protégé. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]

ANES : vous êtes le Directeur général de la Tour du Valat, un institut de recherche pour la conservation des zones humides basé en Camargue. Qu’en est-il de l’état de conservation des zones humides de ce delta ?

Jean Jalbert : la Tour du Valat travaille sur tout le bassin méditerranéen. Quand on compare la Camargue aux autres deltas du bassin, on se rend compte de sa richesse. C’est une mosaïque de paysages et d’usages, avec des zones dédiées à l’agriculture intensive, d’autres au pâturage extensif, des espaces naturels protégés… C’est un site où une grande biodiversité cohabite avec les activités économiques. Ce n’est pas le cas partout ! En Espagne, le delta de l’Ebre est aujourd’hui presque complètement dédié à la riziculture, les espaces naturels sont repoussés aux marges du delta. Aussi, durant la tempête Gloria de janvier 2020, ces espaces naturels n’ont pas pu jouer leur rôle d’amortisseur climatique et la mer est rentrée à 3 km à l’intérieur des terres en balayant toutes les rizières. Le préjudice économique est colossal et cela aurait pu être en partie évité avec plus de naturalité sur les zones côtières.

ANES : vous revenez du Forum économique mondial de Davos, où l’environnement a fait l’objet de nombreux débats et engagements. Y a-t-il aujourd’hui un effort planétaire pour la préservation des zones humides ?

 Jean Jalbert : il y a bien un effort planétaire pour les zones humides, mais qui ne mobilise encore pas assez largement pour enrayer la tendance funeste : la vitesse de dégradation de ces écosystèmes à l’échelle mondiale ne ralentit pas. Nous avons perdu 87% des zones humides depuis 300 ans, dont 35% dans les 50 dernières années, et il n’y a pas d’inflexion. Notre modèle de développement global aimerait bien voir ces zones, qu’on imagine « mal drainées », complètement asséchées… Mais la réalité, c’est que ce sont les écosystèmes les plus prodigues de la planète, ils abondent de vie et de ressources utilisées par les hommes. Ce sont eux qui contribuent le plus au développement et à la subsistance de l’humanité, et paradoxalement, ce sont ceux que nous détruisons le plus. Au Forum de Davos, un des constats intéressants est que, pour la première fois, les acteurs économiques mondiaux ont placé en tête des risques majeurs pour l’humanité et la planète cinq risques d’ordre environnemental, parmi lesquels la perte de la biodiversité et l’échec de l’adaptation au changement climatique. C’est dramatique, cela signifie que notre environnement est si dégradé que cela impacte même le monde du business ; mais c’est également une opportunité extraordinaire car le monde de l’entreprise, qui ne craint rien de plus que les risques, devrait commencer à déployer beaucoup d’énergie pour stopper les dégradations environnementales. Le problème, c’est que les mondes de la nature et du business n’ont encore pas de langage commun : les entrepreneurs ont une métrique financière, ils vont par exemple faire planter des rangées d’eucalyptus pour un résultat quantifiable et attendu de stockage de carbone. Les scientifiques et gestionnaires de nature s’occupent d’espaces naturels qui ne sont pas « standardisables » et se méfient de la métrique économique. Pourtant, il y a souvent une sincérité des deux côtés. Il faut donc qu’on travaille sur le dialogue pour être plus opérationnel sur les actions concrètes !

Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain

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