⏱ Lecture 3 mn.

Trois questions à Stéphane Pinto, pêcheur artisanal à Boulogne-sur-mer.

ANES : La pêche électrique a été interdite dans les eaux françaises et le sera dans toutes les eaux européennes en juillet 2021. Est-ce que votre regard par rapport à la bataille qui a été menée, dont vous avez été l’un des meneurs, est optimiste ?

Stéphane Pinto : c’est une victoire indéniable. Une alliance s’est créée entre les petits pêcheurs européens, qu’ils soient français, anglais, espagnols, italiens, et même néerlandais. Nous espérons juste aujourd’hui que le stock de soles ne mettra pas autant de temps à se régénérer qu’il a souffert de la pêche électrique, car sinon cela prendrait plus de 10 ans… Cela créerait une situation économique dramatique. A Boulogne-sur-mer, nous avons beaucoup souffert de cela ces dernières années. Dans les meilleures années, on était à 80 navires de pêche traditionnelle, comme le mien, alors qu’aujourd’hui nous sommes à peine à 35 bateaux. Cette situation va encore s’aggraver dans les semaines et les mois à venir. On espère sincèrement avoir du soutien, car nous ne sommes pas responsables de ce qui s’est passé à un moment donné ! On peut être en colère de savoir qu’il y a des pêcheurs industriels qui ont bénéficié de plus de 21 millions d’euros de subventions, c’est à dire d’argent publique, pour faire des bêtises, pour une pêche illégale, comme c’est le cas pour certains pêcheurs hollandais avec la pêche électrique. Nous, dans les Hauts de France, et ailleurs en Europe, nous souffrons de cette aberration humaine et attendons compensation. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]

ANES : vous attendez un soutien financier, mais également politique ?

Stéphane Pinto : oui, car aujourd’hui nous sommes encore et toujours livrés à nous-mêmes, forcés d’aller faire de la politique au Parlement européen plutôt que de la pêche. Aujourd’hui on peut se glorifier de l’interdiction dans les eaux françaises de la pêche électrique, mais ce n’était pas une décision politique dure, la France n’a fait qu’appliquer ce que le trilogue lui a proposé. Il aurait été très mal venu de la part du gouvernement de ne pas soutenir la position des pêcheurs. Cette technique de pêche aurait pu être enrayée il y a longtemps : nous la dénonçons depuis 2013, et c’est seulement en 2017, notamment grâce à l’association Bloom et à certains eurodéputés, que les choses ont commencé à bouger. Le grand responsable de notre perte, c’est le Comité national des pêches. Si cette institution sensée représenter nos intérêts avait remonté les bonnes informations à la Direction des pêches, le ministère aurait été informé correctement de notre situation, de manière à pouvoir nous défendre. Mais le Comité national a subi la pression des lobbies, car au sein de son Conseil et de son Bureau se trouvent certains armements français sous capitaux hollandais, qui cautionnaient donc la pêche électrique. C’est ça qui a permis à la situation de perdurer et de se dégrader. Le Comité national, dans les interviews, se disait contre la pêche électrique, mais dans les consignes de votes au Parlement, ils ont demandé sa continuation !

ANES : quel est l’état de l’écosystème en Mer du nord : reste-t-il du poisson ?

Stéphane Pinto : autrefois, avec notre technique de pêche traditionnelle au filet, la sole représentait 80% du chiffre d’affaire de nos petites entreprises. En 2008, on débarquait à Boulogne-sur-Mer plus de 1000 tonnes de soles, qu’on partageait avec les Hollandais et d’autres pêcheurs européens. Aujourd’hui, 10 ans plus tard, nous sommes à peine à 300 tonnes. Il y a une disparition nette de la ressource. Alors aujourd’hui on s’adapte. On doit attendre, on doit faire un statut quo sur l’installation des jeunes dans le métier, car il faut permettre au stock de poissons de se régénérer. En attendant on se concentre un peu sur de la pêche accessoire comme le bulot, le tourteau et le homard. On oublie trop souvent que la pêche est un métier qui ne produit rien du tout : quand l’agriculture va produire des légumes et du lait, quand l’industrie va produire du textile et de la technologie, nous ne faisons que prendre à la nature. On a donc une obligation morale de préserver la ressource pour pérenniser nos professions. Ce combat contre la pêche électrique montre qu’on est capable de prendre les bonnes décisions.

Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain

[/ihc-hide-content]