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Trois questions à Odile Gauthier, directrice du Conservatoire du Littoral.

ANES : Le Conservatoire du Littoral vient de franchir le cap des 200 000 hectares protégés. Pouvez-vous nous rappeler comment cet outil sert la sauvegarde des espaces naturels côtiers ?

Odile Gauthier : Le CDL est un opérateur foncier, uniquement sur le littoral métropolitain et d’outre-mer et pour les lacs de plus de 1000 hectares. Nous travaillons en étroite relation avec les collectivités pour acheter des parcelles de terrain soumis à différents enjeux : pressions dues à l’urbanisation, dégradations de terrains aux paysages et à la biodiversité importantes, surfréquentation d’espaces non-protégés, intensification des pratiques agricoles ou, au contraire, déprise agricole conduisant à une fermeture des paysages, etc… Ces pressions sont beaucoup plus manifestes sur les littoraux qu’à l’intérieur des terres car l’occupation de l’espace y croît de façon plus importante. Une fois ces sites acquis, leur gestion est assurée en priorité par les collectivités locales. Aujourd’hui nous avons la propriété de 750 sites, gérés à 40% par les communes et intercommunalités, 40% par les départements, syndicats mixtes ou Parc naturels régionaux et le reste par des associations (LPO, etc) et quelques établissements publics (Parc nationaux, ONF), pour un total de 250 gestionnaires. L’un des grands objectifs du Conservatoire est d’abord la maîtrise des équilibres écologiques des terres acquis, par l’aménagement des territoires. Notre ambition est aussi que les collectivités s’approprient les sites et que ceux-ci bénéficient au public, et notamment aux habitant des communes. On veut éviter la privatisation des côtes, afin que les gens gardent toujours un accès à la mer. Les gestionnaires ouvrent donc nos propriétés au grand public, qui sont aujourd’hui 40 millions à les visiter chaque année. Nous avons aujourd’hui 1200 agriculteurs sur nos terrains, dont une partie importante pratique le bio. Nous réinstallons des activités primaires comme la conchyliculture, la saliculture, etc. Nous voulons des sites vivants. Mais nous protégeons ce qui doit être protégé ! Certains sites étaient surfréquentés, nous canalisons désormais l’afflux touristique pour sauvegarder la biodiversité.

ANES : Qu’est-ce que le « Tiers naturel littoral » auquel le Conservatoire contribue et où en sont les objectifs ?

O.G : Le « tiers naturel » est en quelque sorte un slogan : il s’agit de protéger un tiers du trait de côte français, les deux autres tiers étant le tiers productif et le tiers urbain. On veut transmettre aux générations futures un patrimoine naturel, terrestre et maritime qui représente le « tiers sauvage » des rivages de la France métropolitaine et d’outre-mer. Aujourd’hui, avec notre cap des 200 000 hectares, nous protégeons environ 13% du linéaire côtier. Ajoutés à cela les protections fortes des forêts domaniales, des réserves ou des parcs nationaux, nous arrivons à peu près à 22% du littoral protégé. L’objectif du tiers naturel est donc d’arriver à 33% à l’horizon 2050, c’est-à-dire la protection de 320 000 hectares. Avec un rythme d’acquisition actuel d’en moyenne 3000 hectares par an, cet objectif sera rempli !

ANES : Au vu du recul du trait de côte, qui montre que le rivage français s’érode inexorablement, est-ce de l’argent bien dépensé que d’acquérir des territoires littoraux ?

O.G : C’est moins simpliste que ça. Les terrains ne vont pas partir à la mer, à l’exception peut-être de certaines falaises. Ils se modifient, les côtes basses s’alignent, mais nous n’acquérons pas de terrains qui vont disparaître du jour au lendemain. Par rapport au coût d’acquisition, nous achetons des terrains naturels ou agricoles, donc le prix moyen d’acquisition est inférieur à 90 centimes d’euro pour un mètre carré, ce qui est peu onéreux. Le fait que ces espaces soient non urbanisables nous évitent aussi des coûts directs ou induits : aménagements, assurances, gestion des risques telles que la submersion, etc. Et c’est finalement une manière de faire de la prévention de risques que de mettre en retrait les intérêts économiques et le potentiel d’urbanisation des terres au profit d’une protection. Nous avons fait certaines études sur les apports économiques de la mise en œuvre de notre stratégie à l’horizon 2050 qui montrent qu’elle rapporte 500 000 millions d’euros par an en bénéfices écosystémiques grâce à la protection des espaces côtiers. Ce chiffre est à mettre en relation avec celui des dépenses pour mettre en œuvre la stratégie : environ 110 millions d’euros, entre le Conservatoire et les collectivités, pour l’acquisition et l’aménagement des sites. Notre stratégie est donc payante, littéralement !

Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain