« De belles images, pour un militantisme positiviste ! »

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Trois questions à Olivier Grunewald, photographe, et Bernadette Gilbertas, journaliste ; spécialisés dans les thématiques de l’environnement.

ANES : Votre exposition « Origines »  se tient sur les grilles du jardin du Luxembourg, à Paris, jusqu’au 15 juillet. Elle ne s’intéresse pas spécialement à l’ère de l’anthropocène, mais bien à toute l’histoire géologique de la planète. Pourquoi cette échelle de temps vertigineuse ?

O.G et B.G : 4,5 milliards d’années : c’est l’échelle de temps qui a permis de générer toute la diversité que l’homme a trouvé au moment de son apparition. Nous trouvions important de valoriser des étapes parfois méconnues, à travers un découpage que nous avons voulu inspiré de la Bible : le Chaos, la Terre, l’Eden et les Créatures de l’Arche de Noé. L’idée est de sensibiliser au temps qu’il a fallu, à travers ces quatre étapes, pour aboutir à cette planète qui a permis à l’homme d’évoluer jusqu’à maintenant. Quand on arrive tout au bout de cette échelle de temps, il y a un questionnement : dans quoi s’engage-t-on pour notre futur immédiat ? 4,5 milliards d’années pour construire notre maison, et en l’espace de 200 ans, l’homme a été capable de la porter au bord de l’épuisement. Le contraste temporel est incroyable. Nous voulons donc sensibiliser le public aux menaces et à la protection de notre planète.

ANES : Comment s’opère le lien entre un travail esthétique sur des paysages et une nature qui semblent totalement vierges de l’empreinte humaine et une prise de conscience chez le public des menaces qui pèsent sur eux ?

O.G et B.G : Historiquement, ce lien s’est effectué. La création du premier parc national, Yellowstone, aux Etats-Unis, s’est effectuée sur présentation de peintures et des premières photographies de la région en 1872. La vision de toutes ses beautés a généré l’établissement de la première loi de protection de la nature. Nous-mêmes le voyons lors de nos expositions : des personnes qui ne sont pas forcément sensibles à la nature peuvent éprouver un choc esthétique, qui conduit à une prise de conscience. Cela veut dire que notre travail, qui évoque la nature par le biais de sa beauté, véhicule un message. On s’était posé la question, il y a presque 20 ans, d’utiliser notre approche esthétisante de la photo pour souligner l’horreur des dégradations environnementales, par exemple avec des images troubles. Nous avons fait une tentative sur la marée noire de l’Erika, mais cela m’a complètement déprimé ! Je ne me suis pas senti capable de m’investir, deux mois par an, sur une belle vision de l’horreur. Nous conservons donc notre approche fer de lance, certes plus classique : la sensibilisation par le beau. Voir de belles images de la nature procure des émotions positives. Dans un monde qui ne procure que des horreurs anxiogènes, elles sont importantes, elles tirent vers le haut et empêchent un certain cynisme. C’est du militantisme positiviste !

ANES : Comment témoigner, photographiquement, d’un temps révolu ?

O.G et B.G : Il est évident que cette exposition traduit une vision personnelle. Nous racontons une histoire passée avec des images d’aujourd’hui, qui sont peut-être éloignées de la réalité. Pour témoigner des temps révolus, nous avons fait des choix photographique. Le Chaos, c’est le début du monde. Pour nous, les éléments forts qui participent de cette vision sont les volcans, un phénomène terrestre avec symbolisme littéralement bouillonnant, et les aurores boréales, qui représentent le déchaînement des forces cosmiques ; quelque chose qui dépasse l’homme et qui, dans notre perception, symbolise les forces du passé. La représentation de la Terre s’est effectuée par des paysages géologiques bouleversés : il y a encore tout ce qu’il faut, entre l’Ouest américain, l’Australie, l’Islande… Partout, les paysages présentent encore les traces de ces grands chamboulements. La décision la plus difficile a été, dans un souci de cheminement didactique, de ne pas mélanger les mondes végétal (l’Eden) et animal (les Créatures), alors que quasiment tout a commencé à évoluer de concert. Mais, encore une fois, il s’agit d’une vision d’artiste !

Propos récoltés
par Jean-Baptiste Pouchain