Trois questions à Maud Lelièvre, Déléguée générale des Eco-maires
ANES : L’Association des Eco-maires organise depuis 8 ans les Assises de la biodiversité. L’édition 2018, qui s’est déroulée la semaine dernière à Valenciennes, a été pour la première fois organisée en partenariat avec l’Agence française pour la biodiversité. Qu’est-ce que ça change ?
Maud Lelièvre : C’est essentiel ! Nous ressentions un besoin accru de participation de l’Etat à ces Assises, et nous sommes ravis d’y accueillir l’AFB : nous savons que les gens qui la composent sont particulièrement motivés pour faire avancer la biodiversité en France. L’AFB, c’est l’acteur sur le terrain. Christophe Aubel (directeur général de l’AFB, NDLR), l’a parfaitement exprimé : elle doit être à la fois l’agence de la cohérence, et l’agence du faire. Avec la complicité de l’Agence, nous pourrons faire encore mieux ce que nous voulons faire avec ces Assises : définir chaque année des thématiques dont nous pensons qu’elles peuvent avoir un intérêt opérationnel pour les territoires et les collectivités. Il y avait six thématiques cette année : la biodiversité pour l’agriculture et l’alimentation, l’engagement pour la biodiversité au cœur de la résilience territoriale, gestion de l’eau et biodiversité, biodiversité et transition énergétique, la biodiversité facteur de solidarité, et enfin : les sols, un réservoir de biodiversité à préserver. Avec les conclusions de tous ces ateliers, nous allons alimenter les entreprises, les éco-maires, et faire en sorte que les sujets qui les intéressent leur soient rendus accessibles. Le propos des Assises, c’est aussi de lancer des ponts entre les réponses savantes, théoriques, celles des experts, et l’action de terrain au quotidien. Et nous sommes bien là aussi au cœur des missions de l’Agence !
ANES : Le contexte était un peu particulier cette année, avec la perspective de la tenue en France, en 2020, du congrès mondial de l’UICN. La semaine précédente, le congrès français de l’UICN avait lancé la mobilisation pour cette échéance…
Maud Lelièvre : Il est nécessaire, évidemment, de coordonner nos actions. Les acteurs motivés par la préservation de la biodiversité ne sont pas si nombreux ! Il n’est pas question de développer chacun sa chapelle pour mener des actions dépourvues de cohérence territoriale ou fonctionnelle. Pour ma part, je siège au titre des Eco-maires au bureau du comité français de l’UICN, nous avons travaillé ensemble à la préparation du congrès, nous travaillons ensemble à mettre en réseau les meilleures politiques publiques en matière de nature, et nous réfléchissons à la façon d’aider les collectivités à améliorer leur efficacité environnementale en matière de biodiversité. Nous avons annoncé au congrès de l’UICN une initiative qui sera un peu le pendant, pour les collectivités territoriales, de ce que sera Act4nature pour les entreprises. Notre ambition est aussi de pouvoir dresser une carte de France de ce qui fonctionne, mais aussi des points noirs, pour faire en sorte que l’argent qui doit être investi ne le soit pas seulement dans des annonces de plans d’action dépourvus des moyens nécessaires pour fonctionner !
ANES : L’autre élément de contexte, c’est l’attente de l’annonce du plan gouvernemental pour la biodiversité. Qu’attendez-vous de ce plan ?
Maud Lelièvre : Nous attendons ce plan avec un a priori positif, et nous espérons l’annonce d’un certain nombre de mesures qui pour l’instant n’apparaissent pas dans les confidences que distillent les services du ministère… Nos attentes portent principalement sur deux points : la gouvernance et le dialogue, notamment pour tout ce qui porte sur les conflits d’usage, les conflits de territoire. Il y a des oppositions –chasseurs vs défenseurs de la nature, pastoralisme vs préservation du loup, réintroduction d’ours vs intérêts agricoles…- qui sont exacerbés par le manque de portage politique. Si ce dont la France se félicite à l’international, la gouvernance environnementale, consiste à réunir le Comité national de la biodiversité pour entendre des discours liminaires de ministres et informer sur des décisions déjà écrites en amont, personne ne pourra s’en satisfaire ! Sur des dossiers comme la Montagne d’or en Guyane, ou la création du parc national des forêts de plaine, ou sur d’autres sujets controversés, il faut créer des lieux de débat pour que les citoyens, comme les acteurs économiques, trouvent un intérêt à des orientations favorables à la préservation de la biodiversité. Sinon, cela ne peut pas fonctionner ! C’est cela que nous attendons du plan que présentera Nicolas Hulot, plus que l’annonce de quelques millions d’euros ici ou là… dont on sait qu’ils seront prélevés sur d’autres politiques environnementales ! Il y a deux choses que nous ne souhaitons pas : la première serait que le plan ne porte que des annonces qui auraient pour seul effet d’alourdir les contraintes qui pèsent sur les collectivités, sans leur donner parallèlement les moyens d’y faire face, la deuxième serait un plan qui ne serait pas assorti de résultats concrets, d’effectivité : quelles seront les avancées, les projets auxquels on renoncera parce qu’ils ne seraient pas compatibles avec l’exigence de préservation de la biodiversité ? De ce point de vue-là, il est un peu dommage que dans cette phase d’élaboration du plan, le ministre n’ait pas saisi l’occasion de ces Assises pour venir nouer le dialogue avec les acteurs.
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko