Trois questions à Vincent Munier, auteur de 100 photos pour la liberté de la presse avec Reporters sans frontières
ANES : Reporters sans frontières publie chaque année un album intitulé « 100 photos pour la liberté de la presse », mais c’est la première fois qu’un photographe de nature en est l’auteur unique. Vous en avez été surpris ?
Vincent Munier : Quand RSF m’a contacté, je n‘ai pas hésité une seule seconde pour donner mes 100 photos. La liberté de la presse, c’est évidemment un sujet essentiel, et qui le sera sans doute de plus en plus, parce qu’il y a toujours plus à dire, à expliquer, à dénoncer, quand on voit le sort qui est fait à la nature. Il faut que les journalistes puissent enquêter sur les lobbies, sur les grosses opérations de déforestation un peu partout dans le monde. Dans les médias, ce sont des sujets dont on parle moins que des grands conflits, des guerres, mais c’est tout aussi important et dramatique, et surtout les mécanismes sont plus insidieux, plus difficiles à déceler et à expliquer. Cela ne veut pas dire que j’approuve toujours le travail que font les journalistes ! J’observe trop souvent dans les médias une forme de populisme, pas seulement dans les textes, mais aussi dans les images. Prenez la question du loup par exemple. Comment peut-on, encore et encore et encore, publier des photos de brebis égorgées, sans explication, sans mise en perspective, sans aucun recul ? Mon sentiment c’est parfois que les médias accompagnent une déconnexion désolante entre la société et la nature. La semaine dernière, j’ai accompagné une sortie en forêt avec l’école de mon fils, qui a 7 ans. J’étais sidéré de voir, dans une petite ville des Vosges, ces gamins qui découvraient ce que c’est qu’une vache, ou ce que sont des traces de chevreuil ! On n’est pas étonné après ça de voir que la nature recule partout. Dans ma campagne lorraine, il y a encore quelques années, je voyais des pies grièches. C’est terminé ! Cet album avec RSF c’est important, je suis content de l’avoir fait, mais je ne me fais aucune illusion, ce n’est pas ça qui va changer la face du monde !
100 photos pour la liberté de la presse
album Reporters sans frontières (chez les marchands de journaux)Tibet, minéral/animal,
Vincent Munier et Sylvain Tesson- éditions Kobalann – 240 pages- 160 photos – 65 €Tibet, promesse de l’invisible carnets d’affût à la panthère des neiges, Vincent Munier – édition Kobalann – 164 pages – 35 €
ANES : Pourtant, vos images, et en particulier celles retenues pour cet album, ne sont pas dénonciatrices, elles ne montrent pas les ravages infligés à la nature…
Vincent Munier : En effet, j’ai fait le choix de montrer le beau, et je trouve que d’ordinaire les médias ne le font pas assez. De ce point e vue-là ils ne nous aident pas beaucoup. Je ne critique pas du tout les photographes qui montrent la nature abimée, comme dans les campagnes de Greenpeace par exemple. Mais j’ai choisi une autre voie, celle de la photo évocatrice plutôt que de la photo démonstrative. J’ai eu la chance de grandir au milieu de la nature, avec des parents naturalistes qui m’ont communiqué la sensibilité à sa beauté. Et très vite j’ai contracté une passion pour les images de la nature, pour les photos mais aussi pour les gravures de Robert Hainard, pour des aquarelles, la beauté et la poésie de ces images m’ont fait grandir sur mon chemin de photographe de nature. C’est aussi pour ça que je produis des beaux livres, dont je suis moi-même l’éditeur. Pour moi il est important de tout contrôler, depuis le terrain, la réalisation de l’image, jusqu’au choix du papier, à la qualité de l’impression. Je veux partager cette beauté à travers un objet soigné. Evidemment, ça restreint un peu le public, mais quand un média largement diffusé, comme l’album de RSF, me sollicite, je n’hésite pas à dire oui, même si évidemment la qualité technique est un peu moins bonne. Parce qu’il faut partager, témoigner, dire ce que j’ai envie de dire… même si parfois je me demande si tout cela a bien un sens. Il m’arrive de devenir un peu fataliste…
ANES : Votre autre actualité, c’st la parution de Tibet – Minéral / animal,un livre dont Sylvain Tesson a écrit les textes, et consacré à votre « traque » commune de la panthère des neiges… Comment ce projet est-il né ?
Vincent Munier : J’ai rencontré Sylvain Tesson à plusieurs reprises, à l’occasion de tribunes, de festivals, et je trouvais qu’il avait à la fois un très grand talent de plume et un très grand courage dans les voyages qu’il entreprenait. Nous avions échangé sur notre passion commune pour l’Asie centrale, pour les grands espaces, mais lui les abordait plutôt en mouvement, et moi, évidemment, immobile, à l’affût. Et cet aspect-là l’intriguait, alors j’ai décidé de lui offrir de découvrir l’affût. Je lui ai offert ma connaissance de la faune, et lui a apporté ses textes magnifiques, qui disent en très peu de mots beaucoup de choses que je ressens comme lui. Parallèlement, je publie aussi un autre livre, qui rassemble mes carnets de terrain, mes réflexions au cours de ces six voyages. Dans ces trois projets, l’album de RSF ou les deux livres, je veux encore célébrer la beauté de la nature en espérant, malgré tout, que de plus en plus de gens y seront sensibles…
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko