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Trois questions à Bruno Commandré, éleveur d’ovins à Meyrueis (Lozère)

ANES : En tant qu’éleveur travaillez-vous aujourd’hui comme vous le faisiez avant que le loup ne se réimplante sur le territoire ?

Bruno Commandré : J’ai été confronté au loup à partir de 2012. Avant, je faisais du pâturage intégral, c’est à dire qu’on ne ramenait quasiment pas les troupeaux en bergerie. On avait une pratique pastorale beaucoup plus marquée, que le loup a amoindrie. Cela a eu un effet pervers car il a fallu utiliser des stocks, et donc intensifier les cultures. On a aussi dû arrêter les pâturages de nuit, alors que durant la période estivale, c’est ce qu’il y a de plus efficace. Aujourd’hui je ne travaille plus comme il y a 5 ans. Le loup a modifié ma vie. La gestion de mon troupeau sur la pâture s’est intensifiée, on s’implique beaucoup plus dans la surveillance. Il y a une nécessité absolue d’être là, pour guetter chacun des loups. On est débordé par ce phénomène. C’est très chronophage et ça a anéanti ma vie sociale et de famille.

ANES : Le nouveau Plan loup propose, à partir du printemps de 2018, de fixer un plafond de prélèvement des loups correspondant à 10% de sa population, et de faciliter les tirs de défense pour les éleveurs. Cela vous semble-t-il suffisant pour « assurer la conservation du canidé et prendre en compte la détresse des éleveurs » ?

Bruno Commandré : Le nouveau Plan loup ne satisfait pas mes attentes, je suis déçu. Les 10% de prélèvement ne sont pas suffisants. L’étude publiée par le Muséum national d’histoire naturelle l’année dernière indique un seuil de mortalité beaucoup plus important, de 34%, avant lequel l’espèce n’est pas en danger d’extinction. Il y a donc une marge de prélèvement importante. Concernant les tirs de défense, c’est nettement moins clair qu’il n’y paraît. Cela reste compliqué et soumis à beaucoup de procédures, ce ne sont pas des tirs de défense automatiques comme les éleveurs en zone de présence permanente du loup en auraient besoin.

ANES : Vous avez participé à l’élaboration de la note sur la « gestion soutenable » du loup publiée par la Fabrique écologique. En quoi pensez-vous que ses propositions sont plus « ambitieuses », « novatrices » et « dérangeantes » que le Plan loup ?

Bruno Commandré : J’ai du mal à reconnaître au loup une place dans notre pays aujourd’hui. Il n’a pas assez d’espace pour s’implanter et va plus facilement s’attaquer aux troupeaux que jouer son rôle de prédateurs de grands ongulés. Pourtant, en tant qu’éleveur, j’ai participé à l’élaboration d’une note qui stipule que la population de loups doit rester à un seuil viable. C’est une vraie concession, et pour cela je risque de me faire taper sur les doigts par mes pairs. Mais on ne peut pas être dans un état de guerre permanente. Il faut désormais que l’Etat affiche clairement une volonté de gestion du loup en nombre et en espace. Je trouve la note novatrice car elle propose un plafond de prélèvement plus élevé que le Plan loup, et un accès au tir de défense plus aisé. Elle enjoint le gouvernement à mettre un terme au système d’avance de trésorerie : aujourd’hui, les éleveurs prennent eux-mêmes en charge les moyens de protection et doivent attendre longtemps avant d’être remboursés ! La note reconnaît aussi aux éleveurs qui sont dans des zones de parcs nationaux, où il y a plus de loups, un usage de tirs de défense, afin qu’ils ne fassent plus l’objet de discriminations. J’ai foi en cette note car elle respecte les hommes. Mais je ne sais pas si elle attirera l’attention des pouvoirs publics. J’espère qu’ils en prendront compte avant que le dossier loup devienne ingérable. J’ai hâte d’en finir pour passer à autre chose : cette polémique inhibe la discussion sur d’autres sujets également importants, comme l’eau ou l’artificialisation des sols.

Propos recueillis
par Jibé