Trois questions à Frédéric Médail, professeur des universités en écologie et biogéographie à l’Université d’Aix-Marseille.
ANES : Un nouveau rapport de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) indique que les zones forestières ont augmenté de 2% dans la région méditerranéenne (+1,8 million ha) entre 2010 et 2015. Faut-il s’en réjouir ?
Frédéric Médail : Le problème de cette étude, c’est que malgré une tentative de définition bio-géographique et bio-climatique de la région méditerranéenne au début, elle dresse des bilans à l’échelle des pays, et non des parties strictement méditerranéennes de ces pays. En France, elle considère le pays en entier, et non les forêts strictement méditerranéennes. Le chiffre de l’augmentation forestière est donc à relativiser. La tendance globale peut gommer les disparités au niveau méditerranéen. Une analyse plus fine permet de dégager des tendances différentes entre le nord, le sud et l’est de la région méditerranéenne. Au nord, c’est-à-dire dans les pays comme la France, les politiques forestières et l’abandon des terres agricoles ont effectivement conduit à une progression de la forêt. Dans le sud et l’est, c’est-à-dire l’Afrique du nord et la zone Balkans-Proche Orient, la pression agricole est au contraire encore très forte et le gain forestier n’est pas si évident.
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Le fait que la France voit ses forêts méditerranéennes se développer est un processus naturel : ce sont les maquis et les garrigues, hérités du pâturage et de l’agriculture, qui se reboisent du fait de l’abandon progressif de ces activités. Mais les mosaïques paysagères ne vont pas disparaître pour autant, car certains événements, comme le feu, continuent de les forger. Il y aura reconquête de certaines espèces, tandis que d’autres régresseront et devront trouver refuge sur des reliefs particuliers comme des pointements rocheux. Ce sont des dynamiques naturelles, nous n’avons ni à nous en réjouir, ni à le regretter, même si on peut dire que, les milieux fermés conduisant à une plus grande homogénéisation des paysages, il y aura un peu moins de « méditerranéité » qu’avant dans les forêts méditerranéennes…
ANES : Ce même rapport indique que les forêts méditerranéennes n’ont jamais été aussi dégradées (80 millions ha terres impactées). Quelles menaces pèsent sur elles ?
Frédéric Médail : Il faut également faire la différence entre la zone nord et les zones sud et est de la région méditerranéenne. Au nord, il y a un vrai problème d’artificialisation des terres, avec une urbanisation étouffante, notamment sur le littoral. Au sud et à l’est, ce sont principalement des problèmes de surpâturage, de coupes et de reforestation. Car les forêts reboisées avec des essences non-autochtones comme des mimosas ou des eucalyptus n’ont rien de méditerranéen et sont souvent des quasi-déserts biologiques… L’incendie de forêt peut être considéré comme une menace, si sa récurrence sur une même zone et son intensité sont trop fortes. Mais certains aspects de la défense des forêts contre les incendies posent aussi des problèmes : quand on fait du sous-solage en raclant le sol pour faire place nette, il y a un impact direct et parfois irrémédiable sur la structure du sol. Le réchauffement climatique va devenir un facteur majeur dans la transformation des forêts méditerranéennes, mais à ce jour nous manquons de données pour en parler. Nous ne savons pas quelles vont être les adaptations des espèces locales. En revanche nous savons déjà qu’il y a des dépérissements parfois importants, notamment aux marges de la zone méditerranéenne. Aujourd’hui, toutes ces menaces font que certaines espèces sont très menacées d’extinction – le rapport avance le chiffre de plus de 300, ce qui est finalement raisonnable au vue de la diversité de cette région. Parmi elles, on peut citer le sapin de Numidie aux populations réduites. Côté faune, je pense à tous les cortèges d’invertébrés des quelques rares vieilles forêts méditerranéennes, comme les coléoptères. Une raréfaction des précipitations causée par le changement climatique conduirait à un dépérissement de ces forêts qui ont besoin d’une humidité certaine.
ANES : Quelles sont les solutions aujourd’hui pour lutter contre les dégradations des forêts méditerranéennes ?
Frédéric Médail : Au nord, il faut travailler sur le mitage des écosystèmes et l’étalement urbain qui menacent les forêts littorales. Un problème méconnu est celui du développement des énergies vertes : on construit de vastes zones de panneaux photo-voltaïques dans des terres forestières jugées inintéressantes alors qu’elles jouent un rôle important. On parle par exemple d’un gros projet de panneaux solaires dans des petites forêts de chênes pubescents du Centre-Var, avec des cortèges d’invertébrés très rares et localisés… Au sud, il faut développer l‘aspect participatif de la conservation des forêts : inclure les populations locales dans la mise en place de systèmes réellement durables, qui n’envisagent plus le bois comme seul combustible, etc. Faire des aires protégées, des parcs nationaux, oui, mais cela ne suffit pas. Comment intégrer l’homme dans une économie qui respecte la nature ? C’est tout le défi actuel !
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Propos recueillis
par Jean-Baptiste Pouchain