Trois questions à Allain Bougrain-Dubourg, Président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)
ANES : 14 associations, parmi lesquelles la LPO que vous présidez, ont rendu publiques 19 priorités en matière de biodiversité, qui seront présentées à Nicolas Hulot le 28 septembre. Comment ces priorités ont-elles été déterminées ?
Allain Bougrain-Dubourg : Chacune des associations a listé ses propres priorités, en fonction de ses compétences et de ses centres d’intérêt, puis au cours de l’été deux structures, Humanité & Biodiversité et la LPO, ont proposé une sélection. Il serait faux de dire que ça s’est fait simplement : nous sommes partis de 150 propositions pour en arriver à 19 ! Il a donc fallu faire un certain nombre de sacrifices, et accepter de générer des regrets. En outre j’ai été moi-même assez partagé sur la méthode : nous avions défini 150 priorités, est-ce à nous, ensuite, de faire le boulot de choisir parmi ces priorités celles qui seraient « encore plus prioritaires » ? Mais nous avons fait le choix d’être lucides, et d’engager un dialogue avec les pouvoirs publics, sur la base d’une plateforme raisonnable. Ce choix de la lucidité et de la raison nous autorisera à être d’autant plus vigilants vis-à-vis des pouvoirs publics. Nous ferons le point chaque année, et nous vérifierons l’avancement de chacun des dossiers. Si l’actualité du moment nous conduit à en introduire de nouveaux, nous le ferons évidemment. Et nous ne nous interdisons pas d’espérer que certains sujets avancent tellement vite que nous puissions un jour les sortir de la plateforme !
ANES : Y’a-t-il en effet des sujets que vous n’avez pas retenus, en estimant qu’ils n’étaient plus prioritaires parce que des solutions avaient été apportées ?
Allain Bougrain-Dubourg : il y a des priorités que nous avons écartées dont certaines, en effet, parce que le dossier a bien avancé. C’est le cas notamment du braconnage du bruant ortolan dans le sud-ouest. En outre, sur ce point précis, nous n’avons pas voulu sacrifier un sujet d’importance nationale au profit d’un dossier d’intérêt plus local. Mais pour l’essentiel, les sujets que nous n’avons pas placés « en haut de la pile » nécessitent encore beaucoup de vigilance : c’est le cas de la pollution lumineuse. A l’inverse, nous avons priorisé des thématiques nouvelles et qui nous paraissent essentielles, comme la condition animale. Nous demandons que soit reconnu à l’animal sauvage le statut d’être vivant doué de sensibilité, et de faire du bien-être animal l’une des grandes causes du quinquennat. Evidemment, cette plateforme est bien le reflet des priorités stratégiques des 14 associations qui la portent. Nous pourrions être meilleurs sur la botanique par exemple, si notre panel était plus large.
ANES : Le gouvernement vous paraît-il réceptif aux questions qui touchent à la biodiversité ?
Allain Bougrain-Dubourg : Le gouvernement n’a donné aucun signal fort pour enrayer le déclin pathétique du vivant ! Les loups sont toujours dans le collimateur, les ours restent orphelins, de nombreuses espèces agonisent. Il faut d’urgence de l’ambition et du courage pour espérer une résilience. Toutefois, lorsque nous l’avons rencontré récemment, le Premier ministre a lui-même souligné l’écart entre la prise de conscience générale sur les enjeux du climat et sur ceux ce la biodiversité. L’accélération des événements climatiques renforce le sentiment s’urgence sur ce terrain, alors qu’une espèce qui disparaît n’affecte pas dans l’immédiat notre quotidien. Hormis certaines peut-être : les abeilles et quelques autres. Mais la disparition du gypaète, du vison d’Europe, ou de l’outarde canepetière laisse tout le monde, ou presque, indifférent. Nous savons aussi que Nicolas Hulot est très conscient de cela. Ils savent bien, l’un et l’autre, que la Stratégie nationale pour la biodiversité est d’ores et déjà un échec, et que cet échec n’est pas une spécialité française. C’est toute la question de notre relation au vivant qui est posée. Notre rôle, en tant qu’associations de protection de la nature, est de pousser les politiques à apporter les réponses qui s’imposent, ce qui, il faut le reconnaître, n’est pas facile !
Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko