Une équipe de chercheurs français alerte sur le développement de bactéries résistantes aux antibiotiques en aquaculture, affectant la production mondiale de poissons et la santé humaine.
L’antibiorésistance est responsable d’environ 700 000 morts chaque année dans le monde. L’étude, publiée dans Nature Communicationsle 20 avril 2020, établit pour la première fois le lien entre réchauffement climatique et risques accrus d’antibiorésistance, et met en garde contre l’usage abusif d’antibiotiques.
L’aquaculture – élevage d’organismes aquatiques comme les poissons, les mollusques, les crustacés – joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire de nombreux pays (en produisant plus de la moitié de la consommation humaine d’animaux aquatiques). Elle est particulièrement importante dans les pays en développement, comme en Asie, qui regroupe 90 % de la production mondiale.
Les aquaculteurs utilisent largement les antibiotiques, pour traiter ou prévenir les maladies au sein de leurs élevages. Or, certains usages inappropriés s’avèrent inefficaces et favorisent l’apparition de bactéries résistantes aux antibiotiques.
Des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et du Centre de recherche agronomique pour le développement (Cirad) de Montpellier ont examiné les données de plus de 400 articles scientifiques, faisant référence à plus de 10 000 bactéries d’origine aquacole en provenance de 40 pays. Cette méta-analyse leur a permis d’étudier l’effet de la température sur la mortalité des animaux aquatiques infectés par des bactéries pathogènes que l’on trouve couramment en aquaculture. Ils ont ensuite effectué une revue systématique de l’abondance des bactéries trouvées dans les environnements aquacoles et calculé un index de résistance multi-antibiotique pour 40 pays.
« Nos résultats montrent que le réchauffement climatique favorise le développement des bactéries pathogènes et donc l’apparition de maladies dans les élevages aquacoles », explique Rodolphe Gozlan, spécialisé dans l’étude des relations biodiversité – santé à l’IRD. Les bactéries de poissons sont en effet sensibles à la température. « Ainsi, le réchauffement climatique va entraîner une augmentation des taux de mortalité dans les élevages, laissant craindre une utilisation accrue des antibiotiques», précise Miriam Reverter, post-doctorante à l’IRD. Or, l’étude montre que l’antibiorésistance est déjà une réalité dans plusieurs pays parmi les plus vulnérables au changement climatique.
Les auteurs de l’étude alertent sur les conséquences d’une utilisation abusive d’antibiotiques, pour la santé humaine et la durabilité de l’aquaculture. « Une bactérie résistante infectant le milieu aquacole peut se propager ou transmettre ses gènes de résistance à une bactérie non résistante infectant un être humain, et entraîner ainsi des maladies difficiles à traiter chez l’animal comme chez l’Homme», explique Samira Sarter, microbiologiste au Cirad.
Ces risques sanitaires liés à l’usage des antibiotiques ne se cantonnent pas à l’aquaculture. Ils sont aussi présents dans les élevages terrestres. « Aujourd’hui, 60 % des maladies infectieuses chez l’homme proviennent des animaux.Si une bactérie résistante ou ses gènes venaient à se transmettre à l’humain, et que les antibiotiques actuels ne fonctionnent pas, nous pourrions faire face à une très forte augmentation de la mortalité liée à l’antibiorésistance».
« Il est urgent d’aider les producteurs des pays du Sud à identifier des alternatives pour traiter et prévenir les maladies dans les élevages», souligne Rodolphe Gozlan. Des travaux ont ainsi montré que certaines plantes sont particulièrement efficaces pour renforcer l’immunité des poissons contre les maladies. Leur utilisation dans les élevages aquacoles pourrait permettre de réduire l’usage des antibiotiques. En parallèle, les chercheurs travaillent aussi à développer des systèmes aquacoles plus résilients, fondés sur les principes de l’agroécologie, dans le but de réduire l’occurrence des maladies.