Une nouvelle analyse développe le concept d' »accélération bleue » : la rapide montée de l’industrialisation des océans mondiaux, qui menace les écosystèmes marins et crée des foyers de conflits potentiels.
Le gastéropode écailleux est un animal surprenant. Il vit à plus de 2 300 mètres sous la surface de la mer, dans trois cheminées hydrothermales profondes de l’océan Indien, où il a développé une remarquable forme de protection contre les conditions de vie difficiles de cet écosystème : une coquille de fer, dont le blindage n’a pas manqué d’intéresser les scientifiques du ministère américain de la Défense dès 1999. Le gastéropode écailleux vient toutefois de rejoindre la liste rouge des espèces menacées établie par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Des groupes industriels allemands et chinois ont en effet révélé des projets d’exploration des fonds marins autour de deux des trois cheminées qui l’abritent. S’ils poursuivent leurs travaux et exploitent les veines de métaux et de minéraux des fonds marins, une grande partie de l’habitat du gastéropode sera détruite, compromettant leur survie. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]
Alors que les ressources minérales terrestres sont déjà pleinement exploitées, celles des fonds marins attisent de plus en plus les convoitises, la technologie permettant désormais de les extraire. Une analyse récemment publiée dans la revue One Earth a synthétisé 50 ans de données provenant du transport maritime, du forage, de l’aquaculture et d’autres industries marines et brosse un tableau alarmant de l’impact de l’exploitation à venir des océans. Les auteurs y développent la notion d' »accélération bleue » pour décrire la récente et rapide montée de l’industrialisation marine, de la pisciculture à la construction d’usines de dessalement, en passant par le transport maritime, la pose de câbles sous-marins, la construction de parcs éoliens en mer, et donc, l’exploitation des minerais profonds. Les conséquences sont, selon eux, déjà visibles : une acidification croissante des océans, le réchauffement des mers, la destruction des récifs coralliens, ou encore la pollution plastique.
Et l’accélération bleue pourrait entraîner des conflits entre les différents usagers des océans dans le futur : les pipelines pourraient par exemple empêcher la pêche au chalut, et les parcs éoliens en mer, perturber le tourisme. L’analyse donne l’exemple de la Norvège, qui pourrait devenir un épicentre de conflits probables. Le pays souhaite multiplier par cinq la salmoniculture et le tourisme de croisière, tout en construisant de plus en plus de parcs éoliens en mer et de plateformes gazières et pétrolières en mer. Cette saturation de l’espace océanique rendrait les eaux norvégiennes très vulnérables aux chocs. La mer de Chine méridionale est un autre point de conflit potentiel. C’est une région-clé du réseau de câbles de télécommunications sous-marins, un tiers du transport maritime mondial y passe, tandis que la moitié des bateaux de pêche du monde opèrent dans ses eaux.
Une autre illustration de l’accélération bleue est fournie par l’accaparement des fonds marins. La Convention des Nations unies sur le droit de la mer permet aux pays de revendiquer les fonds marins qui se trouvent au-delà des 200 miles de leur zone économique exclusive, réduisant ainsi considérablement un espace de haute mer qui devrait, selon les auteurs, être désigné comme patrimoine commun de l’humanité. De nombreux pays qui s’emparent des fonds marins sont de petits États insulaires qui tentent de devenir de grands États océaniques. Par exemple, les îles Cook dans le Pacifique Sud ont revendiqué une superficie de fonds marins qui représente 1 700 fois leur surface terrestre. Pour freiner les conséquences de l’accélération bleue, les auteurs enjoignent une plus grande responsabilité aux banques et aux gouvernements qui financent l’industrialisation des océans mondiaux.
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