La forme des œufs façonnée par l’aérodynamisme des oiseaux

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Les formes très variées des œufs parmi les nombreuses espèces d’oiseaux paraissent liées à leurs différentes aptitudes pour voler, conclut la recherche la plus étendue faite à ce jour sur ce mystère qui intrigue les biologistes depuis des siècles.

« Contrairement aux diverses hypothèses avancées jusqu’alors, nous avons observé que l’aérodynamisme détermine la forme de l’œuf. Ainsi des oiseaux dotés de grandes aptitudes pour voler pondent des œufs asymétriques ou elliptiques », explique Mary Caswell Stoddard, une biologiste de l’Université de Princeton (Etats-Unis). Elle est l’une des principales auteures de cette étude menée par une équipe internationale et publiée jeudi dans la revue américaine Science. « En outre, nos travaux suggèrent que la membrane tapissant l’intérieur de l’œuf, et non pas la coquille, détermine la diversité des formes des œufs que nous voyons dans la nature », précise-t-elle. Les scientifiques avaient avancé diverses théories, comme celle du lieu où les oiseaux font leur nid. Ainsi chez ceux nichant au bord d’une falaise, leurs œufs ont le plus souvent la forme d’un cône qui les font rouler en petit cercle, évitant ainsi de tomber dans le vide. Une autre théorie suggérait que certaines formes optimiseraient l’incubation pendant la couvée.

Pour trancher ce débat, les chercheurs ont analysé la forme de 49 175 œufs représentant environ 1 400 espèces d’oiseaux, dont certaines sont éteintes, provenant de la banque de données en ligne du Musée des animaux vertébrés de Berkeley, en Californie (ouest des Etats-Unis). Ces oiseaux se trouvaient partout dans le monde et ont été observés et catalogués par des naturalistes en grande partie à la fin du XIXème siècle et au début du XXe. Les œufs ont été classés selon leur asymétrie et leur ellipticité, ainsi que selon des paramètres biométriques et environnementaux. Les chercheurs ont ensuite créé un modèle mathématique intégrant toutes ces variations de formes et les autres facteurs. Ils ont pu ainsi rechercher les liens entre les différentes formes des œufs et de nombreux traits physiologiques des oiseaux et déterminé que l’un des meilleurs paramètres pour prédire la forme des œufs était les aptitudes de vol. Le modèle fait aussi ressortir que les oiseaux les plus aérodynamiques ont tendance à pondre des œufs longs ou pointus. Les œufs de chouettes sont de ce fait sphériques. Chez les colibris, ils sont elliptiques et pointus pour les bécasseaux.

« La variation à travers les espèces de la taille et de la forme de leurs œufs n’est tout simplement pas le fruit du hasard, mais correspond bien à l’éventail des différences dans leur aérodynamisme et la puissance de vol », relève Joseph Tibias, un scientifique de l’Imperial College à Londres, un des co-auteurs. Alors que le corps des oiseaux a commencé dans l’histoire de l’évolution à s’adapter pour mieux voler, des changements morphologiques se sont produits, comme une réduction de la taille corporelle, donc une plus petite cavité abdominale. Cela en retour a pu affecter la forme de leurs œufs. « Les oiseaux les plus aérodynamiques ont peut-être besoin d’œuf plus étroits pour passer dans leur plus petit pelvis, et aussi parce que la seule façon pour loger un oisillon dans un œuf plus étroit est de l’allonger, de le rendre elliptique ou asymétrique », pointe Claire Spottiswoode, une zoologiste de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), dans une perspective publiée dans Science. « Les oiseaux pourraient bien avoir eu un problème d’emballage pour permettre le développement d’un oisillon sain dans un œuf de taille réduite tout en maintenant un corps svelte et aérodynamique pour bien voler », ajoute le professeur L. Mahadevan de l’Université de Harvard (Etats-Unis), un des co-auteurs de la recherche.