Les Etats-Unis ont demandé à l’UE de reporter l’application, prévue à la fin de l’année, d’une réglementation anti-déforestation en raison des difficultés des producteurs américains pour s’y conformer, a indiqué Bruxelles jeudi.
Cette pression s’ajoute aux vives inquiétudes de pays africains, asiatiques et sud-américains, mais également de plusieurs Etats de l’UE qui s’alarment des charges pour leurs propres agriculteurs, éleveurs et exploitants forestiers.
Cette législation, finalisée fin 2022, interdit à partir de fin 2024 la commercialisation dans l’UE d’une série de produits (cacao, café, soja, huile de palme, bois, viande bovine, caoutchouc, cuir, ameublement, papier…) s’ils proviennent de terres déboisées après décembre 2020.
Les entreprises importatrices, responsables de leur chaîne d’approvisionnement, devront prouver la traçabilité via des données de géolocalisation fournies par les agriculteurs, associées à des photos satellitaires.
Selon le Financial Times, les secrétaires d’Etat américains au Commerce, Gina Raimondo, et à l’Agriculture, Thomas Vilsack, ainsi que la représentante américaine au Commerce Katherine Tai, ont envoyé fin mai une lettre à la Commission européenne pour demander le report de la mise en oeuvre du règlement jusqu’à la résolution des « défis critiques » rencontrés par les producteurs américains pour s’y conformer.
« Nous pouvons confirmer avoir reçu la lettre, nous répondrons en temps utile », a indiqué à l’AFP un porte-parole de la Commission.
« Nous travaillons activement en étroite collaboration avec toutes les parties prenantes pour préparer l’application. La Commission suit constamment la situation, travaillant dur pour garantir que toutes les conditions soient réunies pour une mise en œuvre harmonieuse », a-t-il ajouté.
Effets « injustifiés »
Sollicité par l’AFP, le ministère américain de l’Agriculture (USDA) n’a pas confirmé directement l’envoi de cette lettre, mais s’est dit « préoccupé » par la « mise en oeuvre » de cette législation et « l’impact qu’elle pourrait avoir sur les producteurs américains engagés dans des pratiques durables ».
L’USDA a assuré vouloir poursuivre ses travaux conjoints avec l’UE « pour traiter la question de la déforestation sans engendrer des effets économiques injustifiés pour producteurs et consommateurs des deux côtés de l’Atlantique ».
Outre le soja, les exportations américaines les plus concernées sont le bois et le papier – un secteur jugeant très compliquées les nouvelles règles en raison de sources d’approvisionnement multiples de pâte à papier.
Ces inquiétudes sont largement partagées ailleurs dans le monde.
Le commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevicius, s’était rendu en mars au Paraguay, en Bolivie et en Equateur pour tenter de désamorcer les critiques de ces pays concernant l’impact redouté pour leurs exportations vers l’UE et les difficultés techniques et financières pour les petits cultivateurs.
Il avait également visité en avril la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao, où les cultivateurs s’équippent de cartes contenant des données numériques.
Dès 2023, la Malaisie avait fustigé une « barrière commerciale restreignant l’accès libre et non discriminatoire au marché » et réclamé un report des règles, n’excluant pas un recours devant l’OMC, à l’unisson de l’Indonésie.
Les deux pays produisent à eux deux 85% de l’huile de palme dans le monde, culture accusée par les défenseurs de l’environnement d’encourager la déforestation des forêts tropicales
Au sein même de l’UE, une vingtaine de ministres de l’Agriculture d’Etats membres, Autriche et Finlande en tête, avaient déploré début avril « de nouveaux obstacles bureaucratiques » pour les agriculteurs, risquant de paralyser les investissements ou de « créer des distorsions de concurrence » au détriment des produits européens.
La législation prévoit que des contrôles ciblent au moins 9% des produits venant de pays considérés à « haut risque » de déforestation, ceux de pays à « faible risque » bénéficiant de contrôles réduits et de procédures simplifiées.
Or, faute de classification déjà établie, la Commission pourrait considérer fin décembre tous les pays comme à « risque standard ».
L’UE est à l’origine de 16% de la déforestation mondiale via ses importations, selon le WWF.