La rupture d’un accord emblématique de lutte contre la déforestation en Indonésie en septembre montre l’ampleur des difficultés rencontrées par ces projets soutenus par l’ONU mais critiqués pour leur inefficacité ou leur oubli des populations autochtones.
Protéger les arbres est essentiel dans la lutte contre le réchauffement climatique alors que la destruction des forêts tropicales représente quelque 8% des émissions mondiales de CO2, selon l’ONG Global Forest Watch. « C’est une question cruciale pour le climat », souligne Frances Seymour, experte des forêts pour le centre de réflexion américain World Resources Institute. Le mécanisme REDD+ mis en place par les Nations Unies est vu comme un instrument clé pour financer la lutte contre la déforestation dans les pays en développement. Des centaines de projets ont été créés de par le monde dans ce cadre au cours de la dernière décennie avec pour donateurs principaux la Norvège, l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Certains projets à l’échelle d’un pays sont soutenus par des gouvernements étrangers tandis que des initiatives plus localisées, financées par des acteurs privés, génèrent des « crédits carbone » destinés à compenser des émissions. Mais ce programme a été largement critiqué par les écologistes.
La déforestation dans le monde a accéléré ces dernières années: selon Global Forest Watch la destruction de forêts primaires était en hausse de 12% en 2020 par rapport à l’année précédente malgré la crise économique. Joe Eisen, directeur exécutif de la Rainforest Foundation en Grande-Bretagne estime que l’architecture des accords REDD+ « est mauvaise ». « Cela réduit les forêts à leur valeur carbone, plutôt qu’à d’autres valeurs
intrinsèques, comme leurs habitants ou la nature ».
Le mois dernier, l’Indonésie qui abrite la troisième plus grande forêt tropicale au monde, s’est retirée unilatéralement d’un accord avec la Norvège prévoyant des compensations pouvant atteindre jusqu’à un milliard de dollars, faute d’avoir reçu les sommes espérées. Pour ses détracteurs, l’échec de cet accord emblématique signé en 2010 pour réduire la déforestation dans l’archipel d’Asie du Sud-Est, met en lumière les faiblesses de REDD+. Jakarta devait mettre en place une stratégie contre la destruction de la forêt et un système de surveillance. Et les compensations devaient être versées en fonction de résultats prouvés. Mais les changements « sont arrivés plus lentement qu’espérés » et la déforestation a progressé jusqu’en 2015, atteignant un pic cette année-là. Si le rythme de la déforestation s’est réduit depuis, les autorités indonésiennes déplorent ne pas avoir reçu pour leurs efforts le versement d’une première tranche de 56 millions de dollars. Les autorités indonésiennes ont indiqué au Jakarta Post avoir mis fin à l’accord parce que la Norvège n’avait « pas fait preuve de bonne volonté » et ajouté des exigences supplémentaires. Le ministère de l’Environnement norvégien a lui indiqué à l’AFP considérer « que seuls quelques problèmes subsistaient qui auraient pu être résolus relativement rapidement ». Kiki Taufik, en charge de la campagne pour le climat chez Greenpeace Indonésie se demande si « le rejet par l’Indonésie de ce partenariat (…) ne signale pas une baisse de l’ambition du pays à réduire ses émissions ».
Selon Global Forest Watch, l’Indonesie comptait en 2001 93,8 millions d’hectares de forêt primaire. Mais en 2020, ces forêts avaient perdu 10% de leur superficie, une zone équivalente au Portugal. Même si le rythme de la déforestation a ralenti depuis 2016, les experts doutent que l’accord avec Norvège ait joué un rôle majeur, pointant plutôt l’effet d’un ralentissement de la croissance économique, et des pluies plus abondantes sur les feux de forêt. Les accords REDD+ sont aussi critiqués pour négliger souvent les droits des populations autochtones sur les forêts, comme au Cambodge, au Pérou, ou en RDC. En RDC, les communautés locales n’ont pas été consultées avant le démarrage des projets, ce qui a entraîné des violences, selon un rapport de la Rainforest Foundation. Au Cambodge, un rapport de l’ONG Fern a conclu que les habitants d’un village cambodgien n’avaient reçu qu’une maigre partie des sommes allouées pour leur rôle clé de surveillance pour prévenir les coupes illégales.
« REDD+ a été mis en place sans vraiment faire attention aux droits des communautés autochtones », souligne Alain Frechette, de l’ONG Initiative pour les droits et ressources (RRI). Pourtant, le Fonds pour l’Amazone, organisé en 2008 pour financer la lutte contre la déforestation au Brésil, auquel la Norvège a apporté 1,2 milliard de dollars, est considéré comme un succès. « Ca a vraiment eu une influence pour gagner une reconnaissance internationale et renforcer le soutien politique », remarque Frances Seymour. Mais la déforestation a repris depuis que le président Jair Bolsonaro est arrivé au pouvoir et a détricoté des lois environnementales. Frances Seymour estime que le système ne doit pas être aboli mais réorganisé pour se concentrer sur les projets de grande ampleur. « Il n’est pas possible de parvenir aux objectifs de limitation de la hausse des températures » sous 1,5 degrés de l’accord de Paris, « sans mettre fin à la déforestation de la forêt tropicale », dit-elle.