🆓 La « transition écologique », victime du COVID ? (7 mn)

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Beaucoup d’entreprises à travers le monde, parmi les plus polluantes, utilisent la crise comme excuse pour obtenir des dizaines de milliards de dollars ou d’euros de subventions gouvernementales et sabrer dans les réglementations environnementales.

De tels agissements peuvent avoir pour effet de rendre les populations plus vulnérables au coronavirus et d’augmenter la probabilité de futures pandémies. L’ONG américaine Mighty Earth a passé en revue les dérives les plus criantes. Mais en Europe et en France, les annonces récentes des gouvernements (en particulier l’attribution d’une ligne de crédit de 7 milliards d’euros à Air France sans aucun engagement de la part de la compagnie aérienne) vont dans le même sens.

L’industrie de la viande a été l’un des plus grands bénéficiaires de subventions ces dernières années aux Etats-Unis, bien qu’elle pollue les cours d’eau américains et continue de provoquer une déforestation à grande échelle pour le bétail et l’alimentation animale en Amérique du Sud. Les intérêts agricoles ont reçu 30 milliards de dollars de subventions d’aide au commerce au cours des deux dernières années, dont 67 millions de dollars pour JBS, la plus grande entreprise de bétail au monde, l’entreprise la plus liée à la déforestation brésilienne et l’un des pires pollueurs des voies navigables américaines. Néanmoins, la filière « viande » américaine a fait pression pour obtenir des subventions supplémentaires massives et sans conditions.  L’American Farm Bureau Federation et la National Cattlemen’s Beef Association ont exigé la constitution d’un fonds doté de 23,5 milliards de dollars, que le ministre de l’agriculture Sonny Perdue peut utiliser avec une discrétion quasi illimitée pour canaliser l’argent public vers des intérêts agricoles.

Dans l’ensemble, le plan de relance américain ne prévoit pas de garanties suffisantes pour empêcher des entreprises comme celles-ci d’utiliser ces fonds pour soutenir leurs activités. Ces dizaines de milliards de dollars de subventions pour les intérêts agricoles viennent s’ajouter aux financements de l’éthanol et du biodiesel, qui sont néfastes pour le climat, et aux crédits d’impôt qui bloquent les carburants qui peuvent causer au moins autant de dégâts environnementaux que le pétrole et le gaz. En décembre 2019, par exemple, le Congrès a adopté un crédit d’impôt de 15 milliards de dollars pour les producteurs de biodiesel de soja industriel.

En soutenant des entreprises comme JBS, le gouvernement américain favorise la déforestation loin des frontières américaines, déforestation qui peut augmenter le taux de mortalité dû au coronavirus (la déforestation par le feu génère des brouillards irritants, responsables de milliers de décès au cours des dernières années, et qui aggravent la vulnérabilité des populations au coronavirus)..

L’industrie automobile n’est pas plus vertueuse que celle de la viande. L’administration Trump a utilisé le prétexte du coronavirus pour vider de sa substance le plus important héritage climatique du président Obama, à savoir des normes plus strictes en matière de consommation de carburant pour les voitures et les camions, qui auraient empêché 1,5 milliard de tonnes de pollution de se répandre dans l’atmosphère. GM, Toyota et Daimler ont utilisé leurs lobbyistes industriels obtenir ces concessions… alors même que cette industrie avait accepté des normes plus strictes comme condition pour être renflouée par les contribuables américains après la crise de 2008 ! Pour Henry Waxman, président de Mighty Earth, « Il est honteux que des entreprises automobiles comme GM et Toyota aient violé l’esprit de cet accord par leur complicité dans la destruction de cette politique essentielle en matière d’environnement et de santé publique, et elles devraient être tenues responsables ». Au lieu de respecter l’esprit de l’accord, les constructeurs automobiles de Detroit prévoient d’augmenter la production de SUV ultra-polluants. En conséquence, malgré un marketing très vert, en 2026, les constructeurs automobiles de Detroit réunis produiront moins de véhicules électriques que Tesla ne l’a fait l’année dernière. L’industrie essaie de jouer le même jeu en Europe, même si les ventes de véhicules électriques s’envolent sur le continent. En février, 7 et 9 % des voitures vendues respectivement en Allemagne et en France étaient électriques, avec une croissance similaire ailleurs. Grâce à ces gains et à une politique européenne forte, les constructeurs automobiles européens sont sur la bonne voie pour parvenir à une réduction spectaculaire de la pollution.

Mais dans une lettre adressée aux décideurs européens, les lobbyistes de Daimler et de Renault ont déclaré que le coronavirus « bouleverse les plans que nous avions élaborés pour nous préparer à nous conformer aux lois et règlements européens existants et futurs… » – en d’autres termes, ils utilisent le coronavirus pour demander un affaiblissement des objectifs climatiques pour 2020 et 2030, afin de pouvoir produire et commercialiser des véhicules plus polluants.

Les compagnies aériennes américaines ont fait pression –avec succès !- pour obtenir du Congrès 29 milliards de dollars en subventions et en prêts. Les démocrates de la Chambre des représentants avaient inclus une disposition révolutionnaire qui aurait conditionné l’aide à la neutralité carbone des compagnies aériennes, mais cette disposition a été abandonnée lors des négociations au Sénat (à majorité républicaine).

Le plan de relance américain comprend également un renflouement particulièrement important pour l’industrie des jets privés, sans taxes sur le carburant ni droits d’accise pour le reste de l’année et des milliards de dollars en prêts et garanties de prêts.

Les compagnies aériennes américaines ont justifié leur renflouement en affirmant que les subventions serviraient à protéger les emplois. Mais elles auraient pu pour cela renégocier leur dette envers les grandes banques ou se déclarer en faillite (comme elles l’ont fait après le 11 septembre) – ce qui permet aux compagnies de continuer à fonctionner et à payer leurs employés en cas de manque à gagner imprévu tout en reportant ou en restructurant les dettes. Le Congrès aurait pu consacrer des fonds supplémentaires pour aider directement les travailleurs si nécessaire. Au lieu de cela, le modèle de renflouement des compagnies aériennes américaines utilisera l’argent des contribuables comme une subvention efficace pour les créanciers des compagnies aériennes.

C’est le même schéma qui a été retenu en France et aux Pays-Bas pour renflouer Air France- KLM (de 7 milliards d’euros pour la France et 2 à 4 milliards pour la Hollande). Ces crédits ont été alloués sans qu’aucun engagement ne soit en échange demandé à la compagnie en matière environnementale.

Ces dernières années, l’Indonésie avait commencé à sévir contre l’exploitation illégale des forêts, une étape cruciale pour un pays dont les forêts et la tourbe stockent environ 28 milliards de tonnes de carbone, soit plus de trois ans d’émissions mondiales totales provenant des combustibles fossiles, et qui abrite des populations d’orangs-outans, de kangourous arboricoles et d’autres espèces menacées en diminution rapide. L’une des étapes essentielles pour réduire l’exploitation illégale des forêts a été d’exiger la certification que le bois a été produit légalement.

Mais, comme l’a rapporté le journal de la conservation Mongabay, le ministère indonésien du commerce a révoqué ces règles le 26 mars dernier, en réponse au lobbying des industries du meuble et de l’exploitation forestière, qui ont fait pression pour mettre fin à cette restriction depuis des années. Le ministre du commerce, Agus Suparmanto, a justifié cette décision comme un moyen de stimuler les exportations de bois qui ont diminué en raison du ralentissement économique alimenté par le coronavirus. Cependant, bien que le changement de politique soit dangereux pour l’environnement, il remporte probablement le prix de l’acte le plus auto-destructeur de profiteurs du coronavirus dans le monde : l’accès de l’industrie indonésienne du bois aux marchés internationaux dépend largement de sa capacité à démontrer que son bois est exploité légalement.

En effet, la réglementation en question a été élaborée en grande partie parce que l’Indonésie voulait s’assurer que ses produits pouvaient être vendus à l’étranger, et l’Europe a utilisé la certification comme base légale pour autoriser la vente de bois indonésien. La délégation de l’UE a déjà évoqué la possibilité que le changement de politique affecte l’ensemble du fonctionnement du commerce du bois entre l’UE et l’Indonésie. Les États-Unis interdisent également l’importation de bois exploité illégalement par le biais de leur Lacey Act. La Chine est un marché encore plus important pour le bois indonésien, avec des achats de produits d’une valeur de 3,7 milliards de dollars en 2018. En décembre 2019, la Chine a interdit les importations liées à l’exploitation forestière illégale, un système qui devrait être mis en œuvre le 1er juillet. Pas plus tard qu’en septembre, le gouvernement indonésien avait vu dans l’interdiction chinoise une aubaine potentielle pour son industrie du bois, car l’Indonésie était en mesure de fournir du bois provenant de sources légales. «S’ils commencent à interdire[le bois illégal], nous serons inondés[de commandes] », a déclaré un porte-parole du ministère du commerce en septembre. « Si nous n’appliquons pas le système SVLK quand la Chine l’exige, nous ne pourrons plus alimenter le marché chinois ».