Limiter l’étalement urbain, rémunérer les agriculteurs pour services rendus à la nature, chasser le plastique… avec son plan pour la biodiversité, le gouvernement veut « changer d’échelle » pour ralentir le déclin du vivant.
« Non, tout le monde ne s’en fiche pas, et certainement pas ce gouvernement », a déclaré le Premier ministre Edouard Philippe, en référence au cri de détresse de Nicolas Hulot qui avait en mars lancé devant les députés: la biodiversité, « tout le monde s’en fiche ». « Nous sommes bien décidés à prendre cet enjeu à bras le corps et nous avons la possibilité de faire une différence », a-t-il assuré aux côtés de son ministre de la Transition écologique. Pour donner ce « coup d’envoi d’une très grande mobilisation », le chef du gouvernement a réuni plusieurs ministres au Muséum d’histoire naturelle alors que « le rythme actuel d’extinction des espèces est sans équivalent depuis la fin des dinosaures il y a 65 millions d’années ». Abeilles décimées, campagnes vidées de leurs oiseaux, insectes volatilisés, espaces naturels grignotés… Le constat d’un déclin accéléré du monde du vivant est sans appel. Au cœur de la centaine de mesures, à l’esprit plus incitatif que contraignant, figurent la gestion des plastiques, la réduction de l’artificialisation des sols, le rôle des agriculteurs. Alors que la France perd l’équivalent d’un département comme la Loire-Atlantique tous les dix ans en espaces naturels et agricoles, le gouvernement se fixe l’objectif de zéro artificialisation nette. Ce qui veut dire compenser chaque surface bétonnée ou goudronnée par la même superficie rendue à la nature ailleurs. Mais l’échéance pour cet objectif doit encore être discutée, avec les collectivités locales notamment. « On va prendre un an pour se fixer une date », a précisé Nicolas Hulot, satisfait de voir ce sujet de la biodiversité « sortir d’une sorte d’indifférence ».
Parmi les autres mesures annoncées, le plan prévoit de mobiliser 600 M d’euros de crédits d’État supplémentaires sur 4 ans. Une partie de ces financements avaient déjà été annoncés, comme les 200 M destinés au soutien à l’agriculture biologique, issus d’une hausse de la redevance sur les pollutions. Le gouvernement compte aussi identifier « les subventions dommageables à la biodiversité, dans l’optique de les réduire ».
Moins de sols bétonnés
Objectif: zéro artificialisation nette – ce qui veut dire rendre autant de sols à la nature qu’on lui en prend. Le gouvernement doit encore définir une échéance, avec les collectivités.
Outils: inscrire dans la loi l’obligation pour les collectivités de lutter contre l’étalement urbain, ou encore donner les moyens aux préfets de suspendre les autorisations commerciales à l’extérieur des centres-villes à redynamiser. Soutenir aussi d’ici 2020, 10 projets innovants en matière de restauration de sites dégradés. « C’est un travail de longue haleine, il faudra se concerter avec les acteurs dans les lois à venir: le plan marque le début de la mobilisation », souligne-t-on au gouvernement.
Chasse au plastique
Objectif : zéro plastique en mer d’ici 2025.
Un moyen sera d’étendre l’interdiction de certains objets jetables. Pour cela, le gouvernement « veut travailler avec les filières de production ». Dépôts sauvages: renforcer le pouvoir d’intervention des collectivités et durcir les amendes. Un groupe de travail est en place.
Agriculteurs à la rescousse
Rémunérer les agriculteurs qui restaurent des zones de refuge pour la nature: haies dans les plaines céréalières, prairies, mares, zones humides… Le gouvernement prévoit 150 M euros jusqu’en 2021, et espère qu’ensuite la future PAC prendra le relais. Ce sera « une revendication forte » de la France à Bruxelles.
Un nouveau programme de recherche sur les alternatives aux pesticides sera doté de 30 M d’euros.
Plus de campagne en ville
Inciter les villes de plus de 100.000 habitants à développer des plans nature, pour atteindre 1 arbre pour 100 habitants et 40% de surfaces végétalisées. Co-financement d' »opérations innovantes ».
Rallier les entreprises
Travailler avec les entreprises pour définir un indicateur permettant de mesurer leur « empreinte biodiversité », afin qu’elles intègrent mieux cet enjeu dans leur activité. D’ici 2022, le gouvernement accompagnera 4 secteurs prioritaires: bâtiment et matériaux, agro-alimentaire, énergie, chimie, pour qu’ils réduisent significativement leur empreinte biodiversité sur toute la chaîne de production et d’approvisionnement.
Aires protégées
Vingt créations ou extensions de réserves naturelles nationales d’ici la fin du quinquennat, financées par le gouvernement. Les zones ne sont pas encore définies. Les préfets seront missionnés auprès des acteurs locaux.
Espèces menacées
Relance de plans nationaux d’actions sur certaines espèces, les plus fragiles et celles en haut de la chaîne alimentaire.
Plan de protection des cétacés.
Pour protéger les pollinisateurs, mettre fin aux principaux usages du glyphosate d’ici trois ans, et à l’ensemble des usages d’ici cinq ans. Mettre en œuvre l’interdiction des néonicotinoïdes au 1er septembre 2018 (avec dérogations jusqu’en 2020), actée par la loi de 2016.
Sensibiliser
Développement des classes nature dans les collèges, kit pédagogique pour les écoles pour la rentrée 2019-20.
Plan de formation de certaines catégories professionnelles (santé, magistrature, élus locaux…)
Application permettant de (re)connaître les espèces qui nous entourent. Jeu inspiré de Pockemon Go pour partir à leur rencontre.
Diplomatie
Comme pour le climat, la France mobilisera sa diplomatie pour « un accord ambitieux » à la conférence biodiversité de 2020 en Chine, qui fixera les engagements mondiaux de la décennie. Après la COP21 sur le climat, les diplomates français ont « une vraie fibre verte » pour convaincre, souligne-t-on dans l’entourage de Nicolas Hulot.
« On va gratter 100 millions ici, 30 millions là…, on voit bien qu’il n’y a pas de volonté de mettre les moyens, déplore le président de la Ligue pour la protection des oiseaux Allain Bougrain-Dubourg, assurant ne pas voir « d’initiatives nouvelles ». Même regret côté financement pour le directeur de WWF France Pascal Canfin, qui souligne que ce plan constitue « une avancée, un accélérateur ». « On franchit une étape importante avec ce plan, celle de mettre (enfin) la biodiversité au coeur des ambitions de la transition écologique (…) Reste à se donner les moyens des ambitions », a également commenté Sandrine Belier, de Humanité et Biodiversité.
La biodiversité n’en est pas à son premier « plan »: il y a eu la stratégie nationale 2011-202O, les conférences environnementales des années Hollande, la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016… Et en parallèle le processus de négociations internationales. A chaque fois, les diagnostics sont posés, des mesures annoncées, dont certaines mises en oeuvre plus vite que prévu comme l’interdiction des pesticides dans les espaces publics. Mais la nature, indispensable à la survie de l’humanité perd en espèces et en espaces. Et le mouvement s’accélère. Pour ses défenseurs, il faut engager un changement radical de modèles, agricoles comme urbanistiques, et de profondes réformes, fiscales notamment.