Un rapport de l’ONU condamne la mauvaise foi des industries des pesticides. La Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) souligne l’urgence d’un changement de pratiques agricoles. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) affirme l’innocuité du glyphosate (Roundup), admettant toutefois qu’il peut… faire piquer les yeux !
« Les pesticides sont nécessaires à la protection des cultures, et donc, à la production de nourriture en quantité suffisante pour nourrir la population terrestre » : voilà le mythe que les rapporteurs spéciaux de l’ONU sur le droit à l’alimentation et sur les substances et déchets dangereux ont pourfendu dans un rapport qui ne mâche pas ses mots. « L’usage des pesticides n’a rien à voir avec la faim dans le monde, explique Hilal Elver, l’un des rapporteurs. D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), on peut nourrir 9 millions de personnes aujourd’hui. Le problème, c’est la pauvreté, les inégalités et la distribution. » Le rapport indique que « l’agroindustrie et l’industrie des pesticides sont dans un déni systématique de l’ampleur des dégâts causés par ces produits chimiques, et utilisent incontestablement des tactiques marketing agressives et immorales. » Hilal Elver justifie ces mots durs par la nécessité de hausser le ton face à des industries appliquant un lobbying intensif afin d’enrayer les règlementations internationales en matière de pesticides.
Tout en rappelant que 200 000 personnes meurent chaque année suite à un empoisonnement aux pesticides, le rapport détaille les conséquences néfastes de ces derniers pour l’environnement : contamination des sols, des nappes phréatiques et extermination des insectes pollinisateurs, entre autres. Il pointe également les politiques commerciales laxistes, qui autorisent souvent l’exportation, dans certains pays, de dangereux pesticides interdits dans d’autres. De nombreuses recommandations sont faites, parmi lesquelles la transition d’un système de subventions vers celui de taxes aux pesticides, ainsi que le financement accru d’études scientifiques sur les effets potentiels des produits toxiques sur la santé des hommes et des écosystèmes.
Le rapport fait la part belle aux néonicotinoïdes, ces insecticides responsables de la chute des populations d’abeilles à l’échelle mondiale. « Ce déclin menace les fondements même de l’agriculture, étant donné que les abeilles et autres insectes jouent un rôle prépondérant dans la pollinisation des cultures et dans la lutte biologique contre les ravageurs . »
En France, la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB) s’est également penchée dans un rapport publié le 13 Mars sur la question des néonicotinoïdes. Il rappelle qu’en plus des abeilles, les invertébrés terrestres et aquatiques, les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux insectivores, les rongeurs et les chauve-souris sont touchés par les effets de ces pesticides. Le rapport appelle en conclusion à ce qu’une réflexion scientifique soit engagée sur les effets des néonicotinoïdes sur la biodiversité en général et non pas seulement au sein des agrosystèmes et sur des espèces cibles ou emblématiques. Il invite également à cibler les recherches, non plus seulement sur les seuls individus, mais sur les écosystèmes dans leur globalité.
À la lumière de ces constats, le rapport de l’ONU, comme celui de la FRB, en arrivent à la même conclusion. Quand le premier indique que « la méthode la plus efficace au long-terme pour réduire l’impact des pesticides est de mettre fin à l’agriculture industrielle », le second enjoint à « soutenir de manière beaucoup plus forte la recherche sur les alternatives non-chimiques reposant sur de nouvelles pratiques agricoles, relevant notamment de l’agro-écologie. »
De son côté, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) vient de rendre un avis très attendu sur l’un des plus controversés des pesticides, le glyphosate, principe actif du Roundup de la firme Monsanto. Le Comité d’évaluation des risques (CER) de l’ECHA a publié le 15 mars cet avis dans lequel les experts de l’Agence estiment que « les preuves scientifiques disponibles ne répondaient pas aux critères du règlement CLP pour classer le glyphosate en ce qui concerne la toxicité pour certains organes cibles, ou comme cancérigène, comme mutagène ou toxique pour la reproduction ». Ils estiment toutefois que le glyphosate peut causer « des lésions oculaires graves et toxique pour la vie aquatique avec des effets durables ».
Une précision fournie par l’ECHA dans son communiqué intrigue toutefois : « Le CER émet un avis scientifique indépendant sur la classification du danger de la substance. La classification est basée uniquement sur les propriétés dangereuses de la substance. Il ne prend pas en compte la probabilité d’exposition à la substance et ne règle donc pas les risques d’exposition ». En clair, le Roundup n’est pas cancérigène… tant qu’il reste dans son flacon ?
Cet avis de l’ECHA ne constitue pas une surprise pour les ONG qui militent pour l’interdiction du Roundup. Il est en effet conforme aux avis rendus par une autre agence européenne, l’EFSSA (agence de sécurité sanitaire des aliments), dont l’indépendance a été fortement critiquée. En outre, pour formuler son avis, l’ECHA affirme : « outre les études publiées sur le glyphosate, le comité a également eu plein accès aux rapports initiaux d’études menées par l’industrie. Le CER a évalué toutes les données scientifiques, y compris toute information scientifiquement pertinente reçue lors de la consultation publique en été 2016 ». A défaut d’informations plus précises sur la méthodologie scientifique retenue, cette précision semble indiquer que l’ECHA a essentiellement compilé des études… fournies par l’industrie chimique.