Travail forcé, déforestation, corruption… Les eurodéputés ouvrent la voie mercredi 10 mars à une loi rendant les entreprises de l’UE responsables des atteintes aux droits humains et à l’environnement tout au long de leur chaîne de production – un « devoir de vigilance » d’une ampleur inédite.
Les eurodéputés ont entrepris de travailler sur une loi concernant les atteintes aux droits humains et à l’environnement au sein des entreprises de l’UE. Objectif de l’initiative soumise au vote du Parlement européen : contraindre les entreprises à identifier et corriger les « effets négatifs » avérés ou potentiels auxquels elles contribuent, y compris indirectement via leurs sous-traitants à l’étranger. Sont visées aussi bien des violations du droit du travail (travail des enfants, des femmes, esclavage…) que des dommages environnementaux (déforestation, pollution…) ou le non-respect de règles de bonne gouvernance (corruption). La Commission européenne a déjà promis une législation d’ici juin, qu’elle soumettra aux parlementaires et aux Etats membres. Des « lignes directrices » de l’ONU ou de l’OCDE existent, mais « ces standards volontaires ont échoué à réprimer les errements des entreprises (…) Désormais, leur responsabilité civile sera engagée et elles devront réparer les préjudices causés« , explique l’eurodéputée néerlandaise Lara Wolters (Sociaux-démocrates), rapporteure du texte.
Selon une étude de la Commission, seule une entreprise sur trois dans l’UE prend des mesures de « diligence raisonnable« . Les victimes d’infraction commises à l’étranger pourraient désormais engager des poursuites dans l’UE, et « ce sera à l’entreprise de démontrer qu’elle a fait tout ce qui était dans son pouvoir » pour l’empêcher, sous peine d’amende, souligne Mme Wolters. La même exigence s’imposerait aux sociétés non européenne souhaitant avoir accès au marché unique, même si l’eurodéputée Verts Saskia Bricmont souhaite aller au-delà pour « réviser fondamentalement » la politique commerciale de l’UE. « Aucune sanction pénale n’est prévue, mais des sanctions administratives constituent déjà une énorme victoire« , estime Manon Aubry, du groupe GUE/NGL (gauche radicale).
Pour un mécanisme efficace, même les sous-traitants éloignés doivent être concernés, insiste Pascal Durand (Renew, libéraux). « On ne peut pas se contenter, comme le demandent de grandes entreprises de mauvaise foi, de s’arrêter aux filiales de rang 1« , les seules en contact avec la maison-mère. Sinon, « pour éviter d’être responsable en Indonésie ou en Birmanie, on n’aurait qu’à créér une filiale à Singapour« , explique-t-il à l’AFP. Pour lui, ce texte est une réponse aux limites de l’action diplomatique et des traités: « Il est impossible de faire entendre raison au (dirigeant brésilien) Bolsonaro sur l’habitat des populations indigènes ou au gouvernement chinois sur la question des Ouïghours« , victime de travail forcé selon de nombreux rapports occidentaux. « On peut faire en sorte que les grandes entreprises veillent à ce que leurs importations de soja ou d’huile de palme ne soient pas issues de la déforestation (…) Je n’empêcherai jamais (l’américain) Nike d’aller fabriquer des chaussures en Asie du Sud-Est ou en Chine, mais on peut veiller à ce que ce ne soit pas avec une main d’œuvre forcée« , observe-t-il.
Reste la question des audits et de la certification qu’exige un tel devoir de vigilance, alors que la transparence et l’indépendance des contrôles dans de nombreux pays restent sujettes à caution. L’ONG Greenpeace épinglait mercredi des certificats de produits importés (huile de palme, bois, soja) attestés comme « durables » selon des dispositifs approuvés par la Commission, mais impliquant en réalité la « destruction de forêts et d’écosystèmes, des conflits agraires et des violations des droits de l’homme« . Les PME, pour qui le coût des contrôles pourrait être rédhibitoire, pourraient être d’abord exemptées, sauf pour les secteurs économiques jugés à « haut risque » de violations environnementales ou des droits des travailleurs (textile, minerais de guerre, agriculture extensive…), avec une « aide technique » prévue pour les accompagner. Lara Wolters conclut: « Pour les citoyens, cette loi signifie qu’ils pourront être sûrs que leurs vêtements et leurs ordinateurs ont été fabriqués sans infliger de dégâts quelque part« .