Après qu’une manifestation en faveur de l’ours dans les Pyrénées –initialement interdite par la préfète de l’Ariège- s’est tenue sans incident à Foix, 21 ONG interpellent le président de la République dans une lettre ouverte au vitriol, publiée dans le Journal du dimanche.
Plusieurs dizaines de personnes se sont rassemblées samedi devant la préfecture de Foix (Ariège) en hommage à un ours tué dans les Pyrénées, une manifestation qui avait dans un premier temps été interdite par la préfecture craignant des heurts avec les éleveurs. Dans une marche funéraire symbolique, des responsables d’associations environnementalistes ont déposé un petit cercueil en bois, des fleurs et un ours en peluche devant la grille d’entrée de la préfecture, ont constaté des journalistes de l’AFP. Ils ont appelé l’Etat à « tout mettre en oeuvre pour retrouver les meurtriers » du plantigrade de quatre ans tué par arme à feu le 9 juin près de la station de ski de Guzet, à 1.800 mètres. « Nous sommes les nounours, les méchants ce sont eux », ont scandé les manifestants. Sur des pancartes, ont pouvait lire « Non à la mafia anti-ours » ou « Dénoncer un meurtre est une obligation morale et citoyenne ». [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″]
La tenue de la manifestation était restée incertaine jusqu’à la veille au soir, la préfète de l’Ariège l’ayant interdite jeudi considérant qu’elle était « susceptible de créer des tensions entre les partisans de la réintroduction de l’ours et des acteurs du monde rural du massif pyrénéen ». Elle avait également évoqué des risques de projets de contre-manifestation observés sur les réseaux sociaux. Mais vendredi soir, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté ces motifs et suspendu l’arrêté préfectoral. « On ne veut pas chercher l’affrontement ni désigner un coupable, les coupables, ce sont les politiques qui attisent la haine », a déclaré Alain Marek, délégué ariégeois de l’Aspas (Association pour la protection des animaux sauvages).
« Comment entendre que le pastoralisme entretient le patrimoine naturel alors qu’il y a autant de biodiversité dans une estive que dans un golf ? »,a de son côté lancé Julien, porte-parole du collectif Forest Shepherd Occitanie, à l’origine du recours en référé devant le tribunal administratif de Toulouse. L’ours tué début juin est le deuxième plantigrade qui meurt cette année dans les Pyrénées, après la découverte du cadavre de Cachou, en avril, du côté espagnol de la frontière. Les conclusions de l’autopsie de ce dernier n’ont pas été rendues publiques. Contraint par la législation européenne sur la protection de la biodiversité, l’État français a lancé dans les années 1990 un programme de réintroduction de l’ours brun dans le massif pyrénéen, d’où l’espèce avait pratiquement disparu. Le début d’un conflit qui oppose depuis éleveurs et écologistes, ponctué de manifestations, parfois violentes. Les autorités dénombrent désormais 50 spécimens dans les Pyrénées, niveau qui n’assure toutefois pas la survie de l’espèce.
Au lendemain de cette manifestation, 21 ONG de protection de la nature ont adressé, dans le Journal du dimanche, une lettre ouverte à Emmanuel Macron. Ils s’y étonne notamment de la surprenante mansuétude dont font preuve les services de l’Etat à l’égard des anti-ours (très minoritaires dans les Pyrénées), au regard de la sévérité avec laquelle sont traités les pro-ours.
Voici cette lettre :
Monsieur le Président de la République,
En multipliant les déclarations en faveur de la biodiversité tout en continuant de déconsidérer la faune sauvage et ceux qui se battent pour la préserver, votre stratégie du « en même temps » vient de montrer ses limites.
Le 9 juin, un ours a été retrouvé mort dans l’Ariège, abattu par arme à feu. Cet acte imbécile et stérile s’inscrit dans un contexte d’impunité que nous dénonçons depuis des années. Il n’est pas admissible dans un État de droit que quelques uns cherchent à imposer par la violence et la menace un point de vue qu’ils n’ont pas réussi à faire valoir par des voies démocratiques et légales. Vous savez pourtant comme nous qu’avec une population estimée à une cinquantaine d’individus dans toutes les Pyrénées, la viabilité de ce plantigrade emblématique de notre patrimoine naturel n’est en rien garantie aujourd’hui. Chaque vie compte!
Toutefois, Monsieur le Président de la République, vous et votre gouvernement entretenez un double langage à propos des ours français. Vous avez fait procéder en octobre 2018 à la réintroduction de deux ourses dans les Pyrénées-Atlantiques, action biologiquement indispensable et attendue depuis des années. Nous en avons à l’époque félicité le gouvernement.
Mais en janvier 2020, lors d’un déplacement à Pau, vous avez annoncé à des représentants agricoles la décision de ne pas réintroduire d’ours d’ici à la fin de votre mandat, en contradiction avec le Plan ours 2018-2028 arrêté par votre gouvernement, dont l’objectif est le maintien d’une dynamique favorable de la population en France et qui prévoit notamment le remplacement immédiat de tout ours tué par l’homme. Les opposants à la présence de l’ours ont largement répandu la rumeur dans les médias que le Plan était suspendu, ce que l’Etat n’a jamais démenti publiquement.
Plus récemment, votre gouvernement a décidé de maintenir un projet d’arrêté relatif à la mise en place de mesures d’effarouchement d’ours bruns dans les Pyrénées, malgré l’opposition de 97% des citoyens qui se sont mobilisés lors de la consultation publique et l’avis défavorable du Conseil National de Protection de la Nature. En outre, l’expérience de l’année dernière a montré que l’administration n’atteste d’aucune vérification de mise en œuvre effective de moyens de protection sur les troupeaux concernés avant d’autoriser des effarouchements avec des armes.
De manière plus générale, selon les services de l’Etat, le constat est qu’il n’y a pas de déploiement systématique du triptyque : bergers, regroupement nocturne du bétail et chiens de protection, mesures pourtant largement subventionnées. Dans ces conditions, le risque d’attaques sur les troupeaux s’accroît nécessairement et les opérations d’effarouchement incluant des tirs multiplient les risques de dérapage.
En septembre 2017, des opposants déclarés avaient publié une vidéo dans laquelle ils se mettaient en scène armés et cagoulés, à la manière des organisations terroristes, pour annoncer la reprise de la chasse aux ours. Facilement identifiables, ils n’ont quasiment pas été inquiétés par la justice, pas davantage que ceux qui ont incendié un véhicule de l’ONCFS en juillet 2019. Nul doute qu’une telle impunité n’a pu qu’encourager les auteurs de l’acte perpétré la semaine dernière en Ariège.
Les protecteurs de la nature ne bénéficient pas d’une telle bienveillance. En décembre 2019, votre Ministre de l’Intérieur annonçait la création de la cellule Demeter, destinée à défendre les agriculteurs contre « des actions de nature idéologique de dénigrement ». En faisant ainsi pression sur l’expression d’une opinion, votre gouvernement alimente les tensions entre ceux qui défendent l’environnement et ceux qui l’exploitent, au lieu de créer les conditions d’un dialogue constructif et la recherche de solutions opérationnelles. Nous vous demandons à nouveau de dissoudre cette cellule contre-productive.
La plupart de nos organisations déposeront plainte pour destruction d’espèce protégée, acte passible de 3 ans de prison et 150.000 € d’amende. La réaction de l’Etat doit également être claire et ferme : condamner et réparer. Au-delà des poursuites judiciaires à venir, il doit entamer rapidement toutes les démarches nécessaires pour remplacer l’ours abattu par l’introduction d’un nouvel individu, comme le stipule le Plan Ours dans ce cas, et conduire sans ambiguïté les actions de préservation de cette espèce patrimoniale, dont le maintien dans les Pyrénées reçoit l’approbation de 84% de nos concitoyens, selon les plus récentes études d’opinion.
L’application du Plan ours 2018-2028 n’est pas incompatible avec le soutien de l’Etat à un pastoralisme extensif. En revanche cela n’est pas compatible avec des personnes qui décrètent que les activités de l’homme sont prioritaires en montagne, et que l’ours n’y a pas sa place. C’est face à ces visions du passé que nous attendons de politiques responsables un engagement en faveur de la protection de la faune sauvage et l’organisation de la coexistence des activités humaines avec la présence d’autres espèces, non moins légitime dans ces espaces.
A quelques mois de l’accueil du Congrès Mondial de l’Union Internationale de Conservation de la Nature, à l’occasion duquel vous défendrez l’impérieuse nécessité de la sauvegarde de la biodiversité à l’échelle internationale, un signal fort envoyé par la France au bénéfice d’une espèce emblématique de son patrimoine naturel est indispensable ».
Signataires:
ADET – Pays de l’Ours / Altair Nature / Animal Cross / ASPAS / Comité Ecologie Ariegeois /Fond d’Intervention Eco-Pastoral / France Nature Environnement/ FNE Midi-Pyrénées / FNE Hautes-Pyrénées / FERUS / Fondation pour la Nature et l’Homme / Humanité et Biodiversité / Ligue pour la protection des Oiseaux / Mountain Wilderness France / Nature En Occitanie / Office Pour les Insectes et leur Environnement / SEPANSO 64 / Société Française pour l’Etude et la Protection des Mammifères / Société Herpétologique de France / Société Nationale de Protection de la Nature / WWF France.
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