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Trois questions à Arnaud Schwartz, Président de France Nature Environnement

ANES : quelles ont été vos réactions en découvrant le rapport de la Convention citoyenne sur le climat, remis dimanche à la ministre de la transition écologique et solidaire ?

Arnaud Schwartz : ma première réaction, c’est de féliciter les citoyens qui ont accepté de participer à ces travaux pendant neuf mois. Ils ont pris beaucoup de temps sur leur vie professionnelle ou familiale, pour s’intéresser au sujet, apprendre, rencontrer, discuter, réfléchir et au final proposer un ensemble de mesures qui globalement correspondent à ce que demande FNE – qui regroupe 3500 associations et 900 000 adhérents engagés depuis des dizaines d’années. Ces propositions vont dans le sens de ce que la science nous apprend de l’état de notre environnement, et de ce qu’il faudrait faire par rapport au dérèglement climatique en cours. Tout ce travail, tout ce temps pris, ils l’ont effectué au bénéfice de l’intérêt général, quitte à sacrifier un peu de leur intérêt personnel. C’est à saluer !

Ma deuxième réaction, c’est de relever que le mandat qu’on leur a confié était un mandat très restrictif : répondre à la question « comment réduire de 40 % nos émissions à l’horizon 2030 ? ». FNE comme beaucoup d’autres, en s’appuyant sur ce que les scientifiques et l’ONU nous apprennent, prône une réduction d’au moins 65 % à l’horizon 2030. Avec ces 40 % qui figurent dans les lois françaises et qui a servi de cadre à la convention citoyenne, on est loin du compte ! Des mesures sont proposées, mais il faudra probablement être beaucoup plus conséquents dans ce qu’on va mettre en œuvre pendant les 5 à 10 années à venir si on veut se donner une chance que l’humanité puisse survivre à la hausse moyenne des températures d’ici à la fin du siècle. On pourrait presque dire que si on met en œuvre tout ce que propose la Convention… on n’aura fait que la moitié du chemin !

ANES : la Convention propose que certaines dispositions soient adoptées par referendum. Partagez-vous ce souhait ?

Arnaud Schwartz : le referendum n’est pas forcément l’outil le plus intéressant en démocratie, parce qu’en général il n’est pas accompagné de suffisamment de temps pour que les votant puissent s’approprier le sujet dans des conditions de neutralité acceptables. Et puis, quand même : on a là des citoyens qui ont travaillé 9 mois, qui ont pris beaucoup de temps et qui ont abouti à des compromis entre eux pour faire des propositions consensuelles, et on voudrait en très peu de temps les faire accepter par les autres citoyens par referendum ?  Alors qu’à la base, si on a fait un tirage au sort, c’était bien pour avoir une France miniature, des citoyens représentatifs en âge, en sexe, en catégorie socio-professionnelle ou géographique et ces citoyens, quel que soit leur niveau de connaissance initial, après un temps de discussion et d’accès à l’information, arrivent à proposer les mesures dont on a besoin. Avec un referendum on aurait de grands risques de voir rejeter et ces propositions et même de voir rejeter l’idée qu’il faille changer et que la population puisse y être prête. Et surtout, contrairement aux campagnes électorales, il n’y a pas de règles de surveillance des temps de parole des uns et des autres, de surveillance des dépenses, des budgets engagés. Il y aurait un énorme déséquilibre entre des lobbys porteurs d’intérêts privés et les défenseurs du bien commun, en terme d’accès aux espaces médiatiques, de diffusion de leurs idées, d’explication, d’argumentation. Cela constituerait un énorme biais démocratique !

ANES : au-delà des propositions de la Convention, quelle réorientation politique attendez-vous à l’occasion du « tournant écologique » annoncé ?

Arnaud Schwartz : elle est de deux ordres. D’abord, c’est au quotidien qu’il y a des atteintes à l’environnement et qu’il faut les stopper. Avec ce gouvernement comme avec les précédents, on constate des régressions incessantes du droit à l’environnement ou de l’accès du public à l’information et à la prise de décision en matière environnementale. C’est petit à petit, insidieusement, que la situation se dégrade. Pour contrer cela, et enfin faire appliquer le doit environnemental tel qu’il est inscrit dans les textes, cela nécessite du personnel, et des moyens financiers à la disposition de ce personnel : du personnel pour faire connaître le droit, du personnel pour contrôler que le droit est compris et mis en œuvre, et du personnel pour sanctionner. C’est du personnel spécialisé, parce que le droit de l’environnement est hyper complexe, l’un des plus durs à maîtriser : il faut des gens spécialisés et plus nombreux, des procureurs, des juges, des personnels de police et de gendarmerie spécialisés en environnement. De même dans les structures d’inspection : il y a beaucoup de sites (voyez Lubrizol…) qui ne sont contrôlés qu’une fois tous les 30 ans. On ne peut pas s’assurer avec ça que les règles sont comprises et appliquées. Surtout quand ça s’accompagne d’un chantage à l’emploi et que les préfets ont pour consigne de privilégier l’économie !

Ensuite, la Convention citoyenne pour le climat s’est focalisée sur… le climat, mais ce n’est pas la seule clé d’entrée pour faire face aux défis devant lesquels nous sommes. Il y a un « green budgeting » pour 2021 : c’est une expression trompeuse qui laisse croire que tout sera vert dans le budget de l’Etat. En 2020 on commence à prendre en compte le climat et les émissions de gaz à effet de serre. Pour 2022 nous aimerions avoir assez travaillé avec ce gouvernement pour intégrer la notion d’empreinte écologique dans le budget. Nous n’avons qu’une seule planète et cette notion d’empreinte est parlante pour le public. On peut calculer individuellement son empreinte sur internet mais aussi collectivement. Les promoteurs de cet outil ont travaillé avec des entreprises, avec des collectivités, avec des Etats : on peut utiliser l’outil à des échelles territoriales, pas seulement individuelles. On ne peut pas consommer à long terme plus que ce que l’environnement d’une seule planète peut nous fournir ou absorber en retour. Et c’est parce qu’on le fait depuis plusieurs décennies qu’on se retrouve devant une situation dégradée comme on la connaît, pas juste climatique, pas juste en matière de biodiversité, mais aussi sur le plan sanitaire, avec des pollutions dans tous les sens ou avec la désertification qui s’accélère. Intégrer l’empreinte écologique dans le logiciel politique français, la traduire dans le droit avec des objectifs chiffrés pour revenir à une empreinte de moins d’une planète par an pour la France permettrait de traiter de façon plus globale l’accès aux ressources naturelles, et les relations entre Etats ou au sein du pays en terme d’inégalités. Pourquoi certains consommeraient-ils 8 planètes par an et d’autres pas ?

Propos recueillis
par Jean-Jacques Fresko