Ours : randonnée interdite, estives sous-haute surveillance sur une commune d’Ariège

Photo d'illustration © Holly-Mandarich-on-Unsplash

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Le maire d’Ustou, Alain Servat, opposé à la présence de l’ours dans les Pyrénées, a interdit jeudi la randonnée sur une portion du massif communal invoquant un danger pour l’homme, tandis que la préfète d’Ariège a déclenché le protocole « ours à problème » pour la zone.

« Tous les soirs, des troupeaux subissent des attaques, on en est à 80 brebis reconnues comme prédatées. Et là, cette nuit, de minuit à 6 heures, quatre ours n’ont pas cessé d’attaquer des troupeaux sur l’estive du Col d’Escots, tout près de la cabane, a affirmé le maire à l’AFP pour justifier son arrêté. La bergère s’est trouvée en danger, les agents effaroucheurs de l’OFB (Office français de la biodiversité) ont eu beaucoup de mal à les repousser, ils n’y sont pas arrivés, d’ailleurs », a-t-il ajouté.  Invoquant une menace pour les hommes, il a interdit la randonnée dans les secteurs, frontaliers avec l’Espagne, qui surplombent le cirque de Cagateille, très fréquenté par les marcheurs en cette saison.  La préfète de l’Ariège, Chantal Mauchet, a dans la foulée déclenché le protocole « ours à problème », ouvrant au renforcement des moyens face aux prédateurs. La préfecture a confirmé dans un communiqué que des agents de l’OFB avaient procédé dans la nuit du 15 au 16 juillet à « une opération d’effarouchement renforcé » sur l’estive concernée. [ihc-hide-content ihc_mb_type= »show » ihc_mb_who= »1,2,3,4,5″ ihc_mb_template= »1″ ]

Cette opération n’a pas permis « de mettre en fuite » un groupe de quatre plantigrades, « une ourse accompagnée de deux oursons et un ours mâle subadulte » qui séjournent dans le secteur, a précisé la préfecture. Dès la nuit de jeudi, des agents de l’OFB « seront mobilisés en urgence pour poursuivre les opérations d’effarouchement renforcé », puis à partir de vendredi et jusqu’à dimanche « des bergers d’appui de la Pastorale pyrénéenne +une association au service des professionnels du pastoralisme sur le massif pyrénéen+ mèneront des nouvelles surveillances de nuit ».Le groupement pastoral affecté fait partie des quatre où la préfecture a autorisé début juillet des procédures d’effarouchement renforcé, incluant selon la préfecture l’utilisation de cartouches double détonation.

il est précisé dans les motifs de l’arrêté que : « Les tirs non létaux – engendrent chez l’ours un comportement agressif non souhaité et représentent un danger vital pour les individus effarouchés (avortement chez la femelle gravide, séparation de l’ourson pour une femelle suitée, blessures graves avec les balles plastiques…). Le Ministère chargé de l’environnement est conscient de ce risque ». Pour l’ONG Sea Shepherd, qui conteste devant le tribunal administratif la légalité de  cet arrêté préfectoral, « le Ministère est donc conscient que cet arrêté peut potentiellement réduire à néant les chances d’avoir une population d’ours pérenne dans les Pyrénées. Il semble très bien s’en accommoder ». Un risque existe aussi pour les humains car une attaque d’ours est possible en cas de blessure par balle plastique dont le tir ne peut se produire qu’à courte distance, de l’ordre de 50 mètres. Par ailleurs, estime l’ONG, les seuils de déclenchement de l’effarouchement sont beaucoup trop bas et ne constituent pas un « dommage important ». Autre élément : les mesures alternatives efficaces existent et ont fait leur preuve par un meilleur gardiennage des troupeaux. Ce qui vient renforcer l’illégalité de l’arrêté. Ainsi, le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN), a rendu le 30 mars 2020, à l’unanimité, un avis défavorable très tranché sur ces mesures d’effarouchement qui mettent en péril la survie même de l’espèce. Plusieurs personnalités, vétérinaires, experts, anciens membres de comités ou conseils scientifiques s’expriment également au titre de leur fonction en défaveur de l’arrêté et dénoncent l’absence d’analyse comparative des avantages et inconvénients avec les autres pays européens qui hébergent des populations d’ours bruns bien plus importantes que la nôtre. « Cet arrêté est une déclaration de guerre contre la vie sauvage. Si on souhaitait exterminer l’ours sans en avoir l’air, on ne s’y prendrait pas autrement, déclare Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France. Nous mènerons toutes les batailles juridiques possibles pour empêcher cela. Et nous ne nous arrêterons pas là. L’ours a bien plus d’alliés que d’opposants. Si l’Etat contrevient à ses obligations légales, il est temps que la société civile les lui rappelle et s’empare du sujet. »

C’est sur le territoire de la commune d’Ustou qu’un ours mâle de quatre ans avait été découvert tué par balles le 9 juin. L’Etat a porté plainte, ainsi que 20 associations qui ont réclamé le remplacement de l’ours tué, conformément à la réglementation, mais l’enquête n’a jusque là pas abouti. L’affaire a exacerbé le conflit qui oppose les défenseurs de la présence ursine aux éleveurs, depuis que l’Etat a entamé fin des années 90 le repeuplement des Pyrénées en ours, en respect de ses obligations européennes.  Une cinquantaine de spécimens est désormais recensée sur le massif, un nombre invoqué par l’Etat pour geler le programme de réintroduction, mais jugé insuffisant par les écologistes pour assurer la survie du peuplement. La préfecture avait par le passé demandé à plusieurs reprises le retrait d’arrêtés pris par le maire d’Ustou interdisant de façon symbolique la divagation des ours sur le territoire communal.

Sea Shepherd a par ailleurs déposé une plainte pénale contre la présidente du conseil départemental de l’Ariège, Christine Téqui, qui a déclaré que l’ours « n’avait pas sa place dans la montagne », et a enjoint ses concitoyens à refuser de collaborer avec la justice dans l’enquête sur l’abattage par balle de l’ours. « Que la montagne reste muette » a-t-elle déclaré, ce qui constitue pour l’ONG une subornation de témoins. « Au-delà du caractère pénalement répréhensible, une telle omerta imposée par la présidente du département constitue une dérive grave dans un Etat de droit, déclare Lamya Essemlali, L’Ariège serait-il un territoire perdu de la République ? »

Par ailleurs, une plainte en diffamation est également déposée contre la même Christine Téqui pour ses propos qualifiant Sea Shepherd de « pompe à fric ». Enfin, une plainte en diffamation est parallèlement déposée contre l’ASPAP (Association pour la Sauvegarde du Patrimoine d’Ariège-Pyrénées) qui accuse Sea Shepherd d’avoir lancé une «chasse à l’homme avec prime à la délation » et d’avoir recours à des «procédés dignes de la guerre 39-45 ».

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