Dans le monde d’avant la pandémie, Ashwin Pal emmenait les touristes s’extasier devant les merveilles sous-marines des Fidji. Plus personne ne visite son archipel, et le moniteur de plongée en est réduit, pour nourrir sa famille, à chasser et manger les poissons multicolores qui le fascinent.
Ashwin Pal a perdu son unique source de revenu en raison de la crise du Covid-19 qui a fermé les frontières au touristes. Il guidait les curieux entre les merveilles sous-marines des Fidji et se voit désormais obligé de chasser les poissons qui le fascinent pour subvenir à ses besoins. C’est un crêve-cœur pour ce papa de quatre enfants âgés de 35 ans. D’autant que le coronavirus, qui a provoqué la fermeture des frontières de l’archipel, n’est pas la seule plaie qui s’est abattue sur le secteur touristique fidjien, et notamment la Côte de Corail, dans le sud de Viti Levu, où vit Ashwin Pal. Le réchauffement climatique est une menace bien plus grave. « Pour être franc, beaucoup de coraux ont blanchi, beaucoup sont en train de mourir, des coraux mous, des coraux durs », se désole-t-il dans un entretien à l’AFP.
Les Fidji sont en outre régulièrement balayées par des cyclones dévastateurs. L’un d’eux, Yasa, risque du reste de frapper en fin de semaine. Ces tempêtes parmi les plus puissantes qui existent étaient autrefois rares, mais beaucoup de scientifiques sont convaincus que leur fréquence augmente avec le réchauffement du climat. Face à cette conjonction de fléaux, l’avenir est sombre pour tous ceux qui, comme M. Pal, dépendent du tourisme et de l’environnement pour survivre.
L’Institut pour le climat et les villes durables, basé à Manille, observe que la pandémie n’a fait qu’aggraver les défis posés par le réchauffement aux nations du Pacifique. « Le tourisme a cessé, les sommes envoyées de l’étranger se sont évaporées, et les perturbations du commerce mondial ont aussi porté un coup très dur », a déclaré le directeur général de l’Institut Renato Redentor Constantino. « Aucune aide ne semble venir de leurs riches voisins », ajoute-t-il en montrant du doigt l’Australie et la Nouvelle-Zélande, de longue date accusés de traîner les pieds sur le climat.
En ouvrant il y a trois ans son centre de plongée, Ashwin Pal a réalisé un vieux rêve, né à l’adolescence lors de ses premières explorations sous-marines. Faute de touriste, son entreprise installée à côté d’un hôtel haut de gamme a dû fermer et il a limogé tous ses employés. « Je suis à la maison depuis huit mois. Je n’ai plus aucun revenu qui rentre », explique-t-il. « La vie est dure. Pour m’en sortir, je suis passé de la plongée à l’agriculture et, comme j’adore l’océan, à la pêche. » « Une fois, deux fois, trois fois par semaine, on va pêcher. Et il y a le potager pour nourrir la famille. »
Préserver les récifs coralliens des Fidji est depuis des décennies la bataille de Victor Bonito, un biologiste marin. « En 2014, 2015 et 2016, nous avons observé des épisodes de blanchissement des récifs tout autour des Fidji, essentiellement dans les eaux peu profonde, près du littoral », explique-t-il sur une plage bordée de cocotiers à quelques kilomètres du centre de plongée d’Ashwin Pal. « Rien qu’ici sur la Côte de Corail, nous avons perdu 30 à 60% des récifs en quelques semaines, ce sont les récifs accessibles de la plage que les touristes vont normalement observer avec leur masque et tuba. » Le blanchissement est un phénomène de dépérissement qui se traduit par une décoloration. Il est dû à la hausse de la température de l’eau, celle-ci entraînant l’expulsion des algues symbiotiques qui donnent au corail sa couleur et ses nutriments. Les récifs peuvent s’en remettre si l’eau refroidit, mais ils peuvent aussi mourir si le phénomène persiste.
L’organisation de Victor Bonito, Reef Explorer Fiji, s’est lancé dans l’élevage d’espèces de coraux qui tolèrent mieux le réchauffement de l’eau pour tenter de repeupler les récifs. Mais le biologiste sait que cela ne suffira pas à sauver les récifs, que ceux-ci dépendent avant tout d’une action mondiale sur le climat. « Assez de discours ! », tonne-t-il. « Sans engagement mondial, sans action sérieuse, nos récifs coralliens, et pas seulement ceux des Fidji, seront parmi les premiers écosystèmes à disparaître. »
Lors d’une réunion virtuelle du Forum des îles du Pacifique (FIP), le Premier ministre fidjien Frank Bainimarama a réaffirmé vendredi que les nations insulaires étaient le baromètre de la santé de la planète, et déploré l’absence de progrès sur les questions climatiques depuis la signature de l’Accord de Paris il y a cinq ans. « Nous, nations du Pacifique, devons à notre peuple et à l’humanité toute entière d’élever davantage la voix pour exiger des grands émetteurs (de CO2) qu’ils intensifient leurs actions et leurs engagements en matière climatique », a-t-il déclaré. « Sans cela, nous perdrons nos maisons, notre mode de vie, notre bien-être et nos moyens de subsistance. Il est plus que temps de prendre les choses au sérieux. »