Des lémuriens de Madagascar, le grand hamster d’Alsace ou encore la baleine franche de l’Atlantique nord ont fait un nouveau pas vers l’extinction, victimes des activités de l’Homme, a mis en garde jeudi 9 juillet l’UICN en publiant sa nouvelle liste rouge.
Selon les experts biodiversité de l’ONU (IPBES), environ un million d’espèces animales et végétales sur les quelque 8 millions estimées sur Terre sont menacées d’extinction, dont « beaucoup dans les prochaines décennies« . Mais ces chiffres sont des extrapolations basées sur les évaluations d’une fraction des espèces, en particulier sur la fameuse liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), référence en la matière qui s’enrichit chaque année de l’étude de nouvelles espèces. Désormais, sur 120.372 espèces passées au crible, 32.441 sont menacées d’extinction (13.898 vulnérables, 11.732 en danger et 6.811 en danger critique), soit plus de 25%. « Le monde doit agir rapidement pour arrêter le déclin des populations d’espèces et prévenir les extinctions causées par l’Homme« , a plaidé Jane Smart, directrice du groupe de conservation de la biodiversité de l’UICN.
La liste rouge 2020 complète en particulier l’évaluation des primates africains, attirant surtout l’attention sur les lémuriens, endémiques de Madagascar. Ainsi, 103 des 107 espèces de lémuriens sont menacées, « principalement en raison de la déforestation et de la chasse » et 33 d’entre eux sont en danger critique, dernière catégorie avant l’extinction. Sans les importants efforts humains et financiers déployés pour sa conservation (aires protégées, reforestation, éco-tourisme…) certaines, comme le lépilémur du Sahafary « seraient sans doute déjà éteintes« , note Russ Mittermeier, spécialiste des primates pour l’organisation. Mais ces campagnes n’ont pas permis d’empêcher 13 espèces de lémuriens de passer dans la catégorie « en danger critique« , comme le sifaka et le microcèbe mignon, plus petit primate du monde, tous deux victimes de la destruction de leur habitat par l’agriculture sur brûlis et l’exploitation forestière. Dans le reste de l’Afrique, plus de la moitié des espèces de primates (54 sur 103) sont également menacées, comme le colobe à longs poils désormais en danger critique. Cela montre « que l’Homo Sapiens doit changer radicalement sa relation avec les autres primates, et avec la nature dans son ensemble« , souligne Grethel Aguilar, directrice générale par intérim de l’UICN, dont le congrès qui devait se tenir en juin a été reporté à janvier 2021 à cause du Covid-19.
Le liste rouge voit également l’entrée comme « vulnérable » du champignon chenille, « le plus cher du monde« . Ce parasite, qui pousse hors du corps d’une larve de papillon qu’il a colonisée et tuée, est très prisé de la médecine traditionnelle chinoise. Mais pour répondre à la demande, les récoltes sur le plateau tibétain où il pousse ont grimpé en flèche et depuis 15 ans, la population de ce champignon parfois surnommé « viagra de l’Himalaya » a diminué d’au moins 30%, selon le communiqué. La liste rouge souligne d’autre part le danger qui pèse sur les baleines franches de l’Atlantique nord, dont il restait moins de 250 adultes fin 2018 (-15% depuis 2011). Victimes de collisions avec les navires et des filets de pêche, mais aussi du réchauffement des océans, elles sont à un pas de l’extinction. Alors que de nombreux scientifiques estiment que la 6e extinction de masse a commencé, « la liste rouge est un baromètre de la vie sur Terre« , a commenté Andrew Terry, de la Zoological Society of London. Alors « nous devons tenir compte de ses avertissements et prendre les mesures audacieuses nécessaires pour assurer un avenir dans lequel la vie sauvage et l’humanité prospèrent« .
La nouvelle liste rouge s’inquiète enfin du sort du hamster d’Europe, qui passe lui aussi en danger critique. Ventre noir, dos roux et taches blanches sur le museau, le grand hamster d’Alsace est désormais « en danger critique » d’extinction, victime en France d’un appauvrissement de son milieu de vie qui pousse même les femelles à dévorer leurs petits. Le petit rongeur sauvage appelé hamster d’Europe, grand hamster d’Alsace ou encore cochon de seigle, était autrefois abondant en Europe, de l’Alsace jusqu’à la Russie. Mais soumis à une variété de pressions (extension des monocultures, développement industriel, pollution lumineuse…), il a disparu des trois quarts de son habitat originel en Alsace et en Europe de l’Est, selon l’UICN. Son taux de reproduction est en chute libre (20 petits par femelle par an pendant la majeure partie du XXe siècle, contre 5 ou 6 aujourd’hui), et « si rien ne change, l’espèce pourrait disparaître au cours des 30 prochaines années« , s’est alarmée l’organisation. Le statut réclamé depuis plusieurs années par les experts européens du rongeur « remet l’espèce sous le feu des projecteurs et ça ne peut qu’aider à sa préservation« , s’est réjoui Julien Eidenschenck, spécialiste de l’Office français pour la biodiversité (OFB).
La France, qui protège l’animal depuis 1993, a engagé des plans de conservation qui ont permis de « stabiliser » sa population ces dernières années, selon plusieurs experts. Mais la chute des effectifs depuis les années 1970, où il était considéré comme un nuisible à détruire, est spectaculaire. « On estime qu’il y avait plusieurs centaines de milliers de hamsters au début des années 1970 en Alsace. Aujourd’hui on estime qu’il reste environ 1.500 individus« , explique à l’AFP Julien Eidenschenck. L’indicateur historique était le nombre de communes où il vivait : plus de 300 en 1972 contre une vingtaine aujourd’hui. L’estimation se fait désormais grâce au comptage des terriers – en général occupés par un adulte – après l’hibernation chaque printemps : 400 en 2016, 750 en 2019. Tous les terriers ne pouvant être trouvés, le chiffre est ensuite extrapolé. Pour freiner le déclin de l’espèce, des hamsters élevés en captivité sont relâchés chaque année en Alsace et un travail est fait avec les agriculteurs pour améliorer leur habitat, notamment pour leur offrir une meilleure protection contre les prédateurs (renards, chats…) et diversifier leur alimentation dans une plaine d’Alsace marquée par les monocultures du maïs et du blé.
Une étude publiée en 2017 dans la revue Royal Society Proceedings B avait mis en lumière le problème posé par une carence en vitamine B3 liée à une alimentation basée uniquement sur le maïs. « Cette carence fait que les femelles mangent leurs petits dès qu’elles mettent bas« , explique à l’AFP Caroline Habold, chercheuse à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien à Strasbourg, qui avait participé à l’étude. « On l’a observé en laboratoire chez 90% des mères« , souligne-t-elle. Quant au blé, « il n’a pas assez de protéines : les femelles ont un vrai comportement maternel mais elles échouent en raison du manque de protéines« . Et les pratiques agricoles ne sont pas le seul problème : « cet animal est vraiment au cœur des conflits d‘usage entre économie et environnement« , poursuit la chercheuse. Les défenseurs de l’environnement dénoncent en particulier le projet de grand contournement ouest de Strasbourg qui passera par une des rares zones où il survit encore.