Contournement de Strasbourg : l’avis au vitriol de la commission d’enquête (5 mn)

Photo © Eric Isselée

1948
Grand Hamster (Cricetus cricetus)
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L’avis de la commission d’enquête publique sur le Contournement ouest de Strasbourg, publié la semaine dernière, constitue un impitoyable réquisitoire contre le projet… auquel le gouvernement a déjà annoncé qu’il délivrerait l’autorisation administrative.

Administrativement, c’est un simple rapport d’enquête publique, conclu sur un « avis défavorable », mais purement consultatif. Politiquement et juridiquement, c’est une bombe à fragmentation. Si les commissaires-enquêteurs avaient voulu nourrir les conclusions des opposants en vue des inévitables recours à venir devant les juridictions administratives, ils ne s’y seraient pas pris autrement.

Dès les premières pages du document, les commissaires enquêteurs expriment leur incompréhension devant le calendrier qui leur est imposé : « Le 23 mars [2018], écrivent-ils, les représentants d’ARCOS [le porteur du projet, en fait le groupe Vinci] et les services instructeurs nous présentent le projet et les principales mesures environnementales. Nous sortons de cette réunion abasourdis, avec 2 énormes cartons de papier, et la perspective d’une enquête qui s’ouvre dans 12 jours. Nous commençons à étudier le dossier complémentaire, et découvrons que le dossier reçu 15 jours plus tôt comporte certaines parties qui ne sont plus d’actualité, sans qu’il soit facile de repérer les points sur lesquels il a été repris. A l’heure où l’enquête s’ouvre, nous n’avons pas eu le temps d’appréhender le dossier dans sa totalité et nous somme en train de nous approprier sa logique en strates. Pourquoi une telle précipitation ? A plusieurs reprises, des contributeurs nous ont demandé où était l’urgence, pour un dossier dont on parle depuis 40 ans ».

Les commissaires notent ensuite que les personnes rencontrées au cours de l’enquête « dénoncent le volume du dossier, sa complexité, sa constitution en strates qui le rend illisible, la mauvaise qualité des documents sur Internet, l’ajout d’un dossier complémentaire censé répondre aux avis des instances, mais impossible à mettre en face de ces avis… ». Or les tribunaux administratifs ont récemment annulé des décisions de diverses natures au motif que l’enquête publique n’avait pu se dérouler dans de bonnes conditions.

La suite du document de plus de 300 pages n’est guère plus bienveillante. Les réponses du pétitionnaire (ARCOS-Vinci) aux interrogations du public sont le plus souvent jugées légères ou inappropriées par les commissaires enquêteurs. Et leur conclusion est ravageuse, et mérite d’être rapportée quasi-intégralement :

« Compte tenu :

  • de l’absence de volonté de présenter un dossier lisible et abordable, tenant compte des recommandations diverses de reprendre et remettre en forme l’ensemble du dossier avant l’enquête publique, de la complexité du dossier ne permettant pas une appréciation aisée des intentions du pétitionnaire en matière d’application de la séquence ERC ;
  • du fait que cette caractéristique du dossier entrave sa compréhension, mais augure surtout de difficultés futures pour le suivi de la mise en œuvre des mesures retenues ;
  • de la non complétude du dossier dans le respect des engagements de l’État qui stipule : “la maîtrise foncière sera assurée avant le démarrage des travaux”,
  • d’un découpage du dossier (saucissonnage) au niveau de l’échangeur nord qui nuit à l’appréciation réelle des incidences environnementales,
  • de la crainte d’une augmentation des niveaux de pollution atmosphérique et autres nuisances, conséquence d’un accroissement des trafics de transit nord-sud et d’un report d’une partie des trafics sur les villages environnants, ce qui annulerait les bénéfices escomptés du COS en matière de santé publique,

(…)

  • des impacts directs et indirects sur la consommation des espaces agricoles, qui ont de plus des conséquences sur la biodiversité et sur l’économie agricole, impacts encore amplifiés par les aménagements fonciers qu’ils impliquent,
  • des effets des aménagements fonciers sur la biodiversité et les milieux, non mesurables à ce stade,
  • de s doutes qui persistent sur la bonne prise en compte de toutes les espèces protégées atteintes, en ce qui concerne l eur identification et l’évaluation des niveaux d’impacts à considérer,
  • des manquements du dossier en matière de compensations environnementales, qui, bien qu’étant indubitablement nombreuses, ne répondent pas de manière satisfaisante à des impacts conséquents vis à vis d’enjeux de préservation majeurs,
  • du manque de recherche d’évolutions structurelles du projet pour diminuer les impacts résiduels environnementaux, malgré les difficultés à rétablir des écosystèmes complexes par des mesures compensatoires,
  • des impacts sur les milieux forestiers, notamment de Krittwald et de Kolbsheim, qu’ARCOS n’a pas cherché à éviter ou à réduire, par exemple en allongeant le viaduc de la Bruche, et pour lesquels les compensations ne sont pas appropriées,
  • des incertitudes qui pèsent encore sur la faisabilité de certaines mesures de compensation proposées au vu de l’état d’avancement de recherche de sites,
  • des atteintes aux espèces faunistiques et floristiques protégées et à leurs habitats, pour lesquels le fonctionnement et la pérennité des mesures compensatoires proposées ne sont pas assurés (le Grand Hamster et bien d’autres),
  • de conditions à la dérogation de protection des espèces et de leurs habitats (solutions alternatives et Raisons Impératives d’Intérêt Public Majeur) insuffisamment justifiées,

Là encore, la jurisprudence récemment réaffirmée des juridictions administratives exige que soit démontrées ces « raisons impératives d’intérêt public majeur » pour valider une dérogation à une interdiction de destruction d’espèces protégées. Les commissaires-enquêteurs adressent là un clin d’œil appuyé aux juges…

Constatant alors :

– que les dispositions de la Loi sur l’eau ne sont pas toutes respectées, – qu’il serait inexact d’affirmer que la dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, – qu’il serait inexact de prétendre à l’absence de perte nette de biodiversité,

Estimant par ailleurs :

– qu’il convient pour l’octroi d’une dérogation au titre de l’article L.411-2 du code de l’environnement que soit véritablement mis en balance l’intérêt majeur du projet avec les atteintes qu’il porte aux enjeux environnementaux de protection des espèces protégées et de leurs habitats,

– que l’enquête publique, mais surtout le dossier de DAU, auraient grandement gagné en qualité à n’être pas organisés dans la précipitation,

– que de nombreuses recommandations de l’Ae n’ont pas été reprises dans le complément apporté au dossier de DAU,

– que le dossier complémentaire ne répond pas entièrement à l’avis défavorable du CNPN dans la mesure où aucun ajout ou ajustement n’a été apporté aux mesures de réduction,

– qu’il n’appartient pas à un arrêté d’autorisation de procéder au rattrapage d’un dossier insuffisamment abouti, la Commission d’enquête émet un AVIS DÉFAVORABLE à la Demande d’Autorisation Unique sollicitée par la société ARCOS en vue de construire l’Autoroute de Contournement de Strasbourg ».

Il sera désormais politiquement bien plus difficile de justifier la poursuite du projet…

Lire le rapport de la commission d’enquête :